Marion Van Renterghem dans Le Monde, 30 mars 1998

Libraire, éditeur, traducteur, imprimeur, typographe: quand il n’est pas occupé à être tout cela à la fois, dans sa petite boutique parisienne de 50 mètres carrés, rue Tournefort, Michel Chandeigne est aussi reconnaissable au vélo jaune qu’il chevauche pour visiter les libraires. A moins qu’il ne soit franchement ailleurs, dans le désert de Lybie à ramasser des météorites, dans les Pyrénées à la recherche des ours perdus, et le plus souvent dans les bars à fado de Lisbonne, ou dans les rues de Rio. Car c’est bien par la lusophonie que, pour lui, tout a commencé.
Dans la Librairie portugaise, on trouve notamment tout ce qui existe en français concernant le Portugal, le Brésil, l’Afrique lusophone et l’Asie de culture portugaise. Avec une spécialité: les récits de voyageurs du XV° au XVII° siècle qui constituent d’ailleurs l’essentiel des éditions Chandeigne dirigées par son associée Anne Lima. Dans un cagibi – pardon: un « atelier » – en retrait de la librairie, Michel Chandeigne confectionne, à la main et au comte-gouttes, ses ouvrages de typographie tels les œuvres complètes de Sappho en deux volumes ou la dizaine de petits livres signés Dominique Fourcade, tout comme les autres livres de la maison d’édition, d’allure non moins élégante.
S’il en est arrivé là, dit-il, c’est d’abord à cause de son côté « ours« . En allant rendre visite à l’ours du zoo de Lisbonne, son « congénère« , Michel Chandeigne pense toujours un peu à lui-même. Autant que le goût pour la culture lusophone, c’est son état d’esprit libertaire qui l’a mené aux livres et à sa solitude de libraire, « pour éviter l’horreur sociale« . « C’est vrai que la patience n’est pas mon fort« , avoue-t-il après avoir envoyé gentiment paître une cliente jugée « casse-pieds« : « Ici, au moins, je peux faire l’ours dans ma grotte. (…) »