La catastrophe de 1627, par une tempête exceptionnelle et l’inconscience de quelques pilotes, est le plus grand naufrage de l’histoire du Portugal qui y perdit partie de son aristocratie et sa cargaison annuelle d’épices venant des Indes. Récit par plusieurs témoignages. Bien qu’ayant eu lieu sur la côte Aquitaine avec à l’époque énorme retentissement auprès des pouvoirs français et portugais, ce naufrage collectif de sept navires et la mort d’au moins un millier de matelots, était curieusement tombé dans l’oubli. Et malgré quantité de documents français, dont une quinzaine reproduits ici en première partie, cet ouvrage comble enfin cette lacune dans l’édition française, avec un appareil critique aussi informatif. Les deux autres témoignages portugais sont du capitaine général dom Manuel de Meneses, le second de celui qui deviendrait le cartographe du roi, qui ne rédigea sa version des faits que trente ans après. Ces deux derniers documents se corroborent, malgré quelques erreurs et confusions, en partie probablement dues au temps écoulé. Chronique d’une catastrophe annoncée Comme souvent, si les conditions météorologiques sont à l’origine du sinistre, l’erreur humaine a été fondamentale. C’est même un superbe exemple de comment l’inconscience de quelques uns entraîna les autres dans une voie sans salut, où deux caraques et leur escorte de cinq galions devaient s’abîmer. Les pertes, d’abord humaines puisque diverses maisons de nobles disparurent, furent aussi économiques : « l’ampleur même de la perte de 1627 découle de l’extrême concentration du flux annuel indien de la Carreira da Índia où deux vaisseaux, parfois trois, sont les uniques vecteurs du commerce officiel portugais d’Asie destiné à Lisbonne […] la cargaison d’une seule caraque portugaise dépasse celle des quatre des plus gros bâtiments de la Carrera de Indias espagnole. Dans un tel contexte, chaque caraque naufragée représente un pan essentiel du réseau économique global portugais d’alors, impact dont le double naufrage de 1627 est une version radicale puisqu’il touche la totalité du flux officiel régulier venu de Goa (p.261) ». La flotte de Meneses reçut l’ordre de remonter au nord de la péninsule ibérique pour protéger d’éventuels pirates anglais les deux caraques des Indes parvenues à la Corogne le 14 octobre 1626 : « toute l’erreur des ministres provenait du manque d’informations vraies qui leur eussent permis de connaître exactement les intentions de l’ennemi […] Dans tous les pays du Nord on armait de grandes flottes de guerre qui, profitant de l’absence de nos forces navales envoyées au Brésil l’année précédente, purent infester les côtes de l’Espagne. C’est ainsi que les Anglais, avec une puissante flotte de plus de cent navires, menèrent une attaque contre Cadix […] déterminés à se dédommager cette année de leurs pertes passées en s’en prenant à nos nefs de l’Inde (p.125) ». L’appétit de la couronne espagnole, celle du jeune Philippe IV, précipita ensuite les événements, une obscure affaire des diamants avant la lettre qui somma les navires de se rendre à Lisbonne. Mais un pilote, jeune et anxieux de gloriole, passa outre les consignes de Meneses, estimant « que c’est en naviguant que l’on rentre chez soi et non en restant à l’ancre dans les ports (p.97) ». Or la tempête menaçait et Meneses vit le danger ; contraint de suivre en tant que responsable de l’escorte, il eut juste le temps d’adresser à Madrid un courrier annonçant la catastrophe. Mais « à bord des autres navires, l’appréhension était moins forte : en raison de l’incompétence des gens qui les gouvernait, la conscience du danger n’y atteignait pas le même degré (p.144) ». Les cartes (pp.171-174) illustrent le déroulement des faits, malgré quelques incertitudes historiques. Côté français, l’histoire n’est pas plus glorieuse, puisque la population et ses connétables en tirèrent grand profit, quitte à assommer, occire ou massacrer quelques étrangers : « l’énorme cargaison de diamants et autres ‘pierreries’ [excita] les convoitises. Le parlement de Bordeaux et les grandes familles de Guyenne devront intervenir pour protéger jalousement leurs droits de bris et d’épaves, tout en évitant que le sort réservé aux naufragés ne fasse scandale. A ce jeu, le duc d’Epernon, Jean-Louis Nogaret de la Valette (1554-1642), semble le plus habile. Il s’approprie une large part des diamants, au point de s’attirer les foudres de son ennemi intime, Richelieu, lequel tentera avec insistance de l’en dépouiller (p.9) ». Le peuple n’avait alors aucune raison de s’honorer davantage que son aristocratie : « les pluies qui étaient tombées durant ces grands orages avaient tellement inondé les chemins que, bien que cette côte ne soit éloignée de Bordeaux que de 10 ou 12 lieues, il avait été impossible de faire plus de diligence pour passer. Il est vrai aussi que les habitants du pays, gens barbares et inhumains comme sont d’ordinaire les gens de mer, et accoutumés au vol des naufrages, ne s’étaient pas hâtés d’avertir les officiers du duc de celui-ci, pour n’être pas troublés dans leur brigandage […] une population avide de s’approprier leurs biens avant l’arrivée des gens d’armes des seigneurs locaux, qui mirent plusieurs jours à atteindre la côte, gênés par les intempéries (pp.60,10) ». Ces quelques précisions expliquent comment « par sa dimension, le naufrage collectif de janvier 1627 couvre tous le spectre des comportements humains (p.220) ». Commentaires de fin Les deux témoins oculaires s’adonnent l’un et l’autre à quelques commentaires sur le comportements stratégiques et personnels : « guidés vers notre perdition par d’occultes desseins de Dieu qui, comme presque toujours quand Il veut châtier avec rigueur, permit que les jugements d’hommes pleins d’expérience fussent aveuglés au point de désirer sans raison ce qu’il auraient dû éviter par-dessus tout […] à présent que tout a été perdu, comme c’est généralement le cas devant les catastrophes dont l’atrocité éveille et affine le jugement pour déterminer quelle aurait été la conduite la plus avisée, il paraît évident qu’avant d’entreprendre cette navigation téméraire les nefs auraient dû reconnaître que le vent de sud-sud-ouest aller les porter jusqu&rs