« Dans ce roman, un meurtrier raconte l’histoire de son crime, ses motivations, sa peur. Il narre le présent et le passé, son enfance et sa jeunesse, sa famille et son entourage dans un récit bouleversant sans d’autres pauses que celles de sa respiration. C’est ainsi que l’on apprend ses espoirs envers sa belle voisine, puis l’arrivée du rival et sa jalousie. Lorsque la jeune femme enceinte est abandonnée, il parle de son désespoir et de son besoin pressant de vengeance (du rival, de la société, de la vie…). Il décide de tuer le séducteur et se dit soulagé de l’avoir fait. Après cela, il tombe malade. L’a-t-il toujours été ? Il écrit… Comment lire ce roman considéré par la critique qui comme le meilleur qui comme le pire de Graciliano ? Lui-même insiste sur les conditions de sa parution : prisonnier, il l’a remis à son éditeur sans pouvoir le réviser, pour apporter à sa famille quelque argent et faire circuler son nom. De fait, il est difficile de cernet le eprsonnage principal. Les narrateurs des romans précédents, João Valério (Caetés) et Paulo Honório (São Bernardo), ont eux aussi avoué avoir provoqué des morts, bien qu’indirectement. Mais tandis qu’on reconnaît dans ces récits de personnages forts, ayant réussi socialement, des histoires exemplaires de « crime et châtiment », que dire du protagoniste d’Angoisse, ce criminel si faible, presque lâche, qui avoue un meurtre ? ¢ On interprète souvent ce crime comme une espèce de rédemption du criminel et, par extension, de la fille séduite et on oublie l’angoisse du présumé assassin qui est cependant le thème central du livre. C’est ce sentiment-là qu’il faudrait prendre comme fil conducteur pour la construction d’un sens au roman. On peut penser que cette angoisse est le résultat du morcellement de Luís da Silva « dans  » les autres personnages du roman. Leurs souffrances et leurs failles sont les siennes, il se sent regardé, espionné, envahi par tous. Il n’a pas de forme, pas de limites, pas de force vitale. Mais il y a Marina, la fille écervelée qui assume une valeur positive et s’impose sur la médiocrité ambiante. Marina est le seul personnage du roman qui place son désir au-dessus des règles, et c’est là son principal atout. Luís da Silva l’aime, elle est le miroir dans lequel il peut se voir fort, malgré ses faiblesses. Il cherche à tuer son rival parce que celui-ci a détruit une Marina vue comme éclatante de force et l’a placée au même niveau que tous les autres offensés et humiliés de la ville. Son rival l’a privé de sa projection positive. ¢ Ainsi Luís da Silva rejoint João Valério et Paulo Honório. Tous trois cherchent une place à la fois sociale et existentielle. Ils ont en commun l’envie d’être parmi les autres, de se voir dans les yeux des autres. Pour cela, ils ont tout essayé, même la violence – réelle ou imaginaire. Angoisse, qui boucle le cycle du narrateur-protagoniste chez Graciliano Ramos, met en valeur le processus de projection du personnage central ainsi que le rôle de l’écriture chez les personnages-narrateurs. Luís da Silva insiste : il écrit, il invente des mensonges mais il ne réalise jamais ce qu’il imagine. Il écrit pour organiser ses sentiments, faire de la place à ses morts et, enfin, dormir. » Eliana Bueno-Ribeiro