«… Les dernières manifestations du pouvoir d’un autocrate fazendeiro, sur fond de décadence sociale et familiale. La société esclavagiste agonise, le poids du péché hante la propriété, l’enfant qui vient de mourir dit la fin d’une époque, le retour de sa sœur aînée Carlota, en annonce une nouvelle. » « Préparatifs de funérailles. La vieille négresse Lucinda confectionne la robe qui revêtira le petit corps de la morte. José Carapina met la dernière main au cercueil de satin blanc. Bruno, le cocher, tient prêt son attelage pour la procession mortuaire. Mais le cortège se réduira à l’entourage du Commandeur. Les esclaves sont interdits de sortie, eux qui auraient tant voulu rendre un dernier hommage à la fillette, joie de la maisonnée. En fait, c’est la vie même dans cette fazenda qui a été enterrée depuis longtemps. Démentant le proverbe qui prétend qu’il n’existe pas de péché au sud de l’équateur, cet univers n’est que carcan et faute. On y murmure, complote, des jalousies, des secrets circulent ou planent, seulement, dans les couloirs. Tout à coup un événement vient secouer la paix toute apparente, aussitôt enseveli de lourds silences. Un Noir attente à la vie du maître, et on le retrouve pendu. La mère s’enfuit mystérieusement et rien ne retient, ne regrette son geste. Seul le retour de Carlota, la fille aînée partie faire son éducation à Rio de Janeiro, la ville de la cour, soulèvera cette chape de plomb et prendra la mesure de l’effondrement d’un monde. ¢ Car comme y insiste la présentation de Cécile Tricoire, à qui on doit cette traduction sensible et exigeante, le climat de l’historie est imprégné des dernières heures de la société esclavagiste. Une infinité de détails retrace l’atmosphère, le quotidien d’une plantation caféière en déclin, à la fin du XIXe siècle : les Noirs travaillant sr les terres, les domestiques, la vieille nourrice dévouée et lucide malgré les brumes de son âge, riche de ses légendes et d’une sorte de don de double vue, la jeune Libânia, affranchie et plus intrépide, les cousines agrégées à la maison après des moments d’infortune… L’attachement des esclaves à leurs maîtres n’a de limite que l’inhumanité de ceux-ci. Le seigneur s’est enfermé dans sa froideur et sa distance, impitoyable, mais lui aussi, miné de l’intérieur comme tout ce qui l’environne, devra s’effacer. ¢ Bien que ce roman soit paru plus de soixante années après l’abolition, le regard qu’il pose sur l’esclavage en appelle moins à une critique des fondements du système qu’à l’exercice bien compris d’un paternaliste humaniste. Témoignage fort de la prégnance de rapports sociaux qui se prolongent aujourd’hui sous des formes plus discrètes, non instituées, à travers notamment la condition de la domesticité. ¢ La minutie de Cornélio Penna est elle aussi, à cet égard, révélatrice d’une logique du non-dit. La construction très corsetée, la prolifération du détail, les tissus, les matières, les va-et-vient de la pensée, loin de fournir des indices de réalisme, étouffent sous leur poids le récit. Or, cette saturation rend paradoxalement plus envahissantes les “absences” du texte, telle cette mère attendue dès les premières pages et dont l’apparition est pourtant retenue jusqu’au deuxième quart de l’histoire. En fait, le lecteur est devant une manifestation très curieuse d’écriture fétichiste, où l’intérêt, le regard, par déplacement du « désir », va se loger dans l’accessoire. D’où le malaise qui naît de la découverte et de l’animation de ce monde figé, mais aussi ruinée, et qui ne pouvait pas mieux se condenser que dans cette figure “artificielle”, sans vie, par essence lieu de projection des affects comme l’est une poupée, de la “Petite Morte” ». M. Riaudel.