La thèse d’histoire de Charlotte de Castelnau-L’Estoile, Les Ouvriers d’une Vigne stérile. Les jésuites et la conversion des Indiens au Brésil (1580-1620), dirigée par Bernard Vincent, soutenue à l’École des hautes études en sciences sociales et éditée par le Centre culturel Calouste Gulbenkian (Lisbonne-Paris), a donné lieu à un fort bel ouvrage. Ses 557 pages, ses tableaux, ses cartes, ses annexes, sa bibliographie bien sûr, lui confèrent l’apparence sérieuse et même presque dissuasive des sommes universitaires. Mais il convient d’aller plus avant, car ce livre n’est pas simplement l’exploration de quarante ans d’une histoire ancienne, du temps où le pays n’était qu’une colonie à peine formée, aux contours encore inexistants, de surcroît entre deux couronnes, un Saint-Siège et de sérieuses menaces étrangères. Il s’attaque aux fondements même de la nation d’aujourd’hui, à ses prémices. C’est à ce moment-là, quand la colonisation devient intense et effective, que se jouent vraiment le rapport à l’indigène, la mise en scène des relations sociales, la répartition des rôles entre colons, missionnaires, agents de l’État. C’est alors que s’ébauchent les rapports «paternels», le déploiement du spectaculaire dans l’esprit du Concile de Trente, la conversion «négociée». Sans parler de l’éclairage que porte ce travail sur l’histoire de la Compagnie de Jésus elle-même et ses crises spirituelles en pleine phase de développement et d’expansion. Nous sommes, avec cette recherche, à un carrefour: des époques (de la découverte à la colonisation), des mentalités (sauvages et religieux, temporel et spirituel…), des disciplines (histoire et anthropologie). On y lit que rien ne va de soi, que chaque avancée «civilisatrice» soulève autant de questions, voire de résistances, que la précédente. Ce n’est donc pas à proprement parler un livre pour l’été, à emporter sur les plages. Mais quand trouverez-vous, sinon, le temps de vous y plonger et d’en faire votre miel ? Paola Berenstein-Jacques