C’est bien pour un voyage «pittoresque», comme le précise le titre original de l’ouvrage, que nous embarquons avec Louis Choris, sur le Rurick, un navire russe qui appareilla en 1815 pour trois ans d’expédition dans le Pacifique. Ce peintre, âgé de vingt ans à peine, est engagé aux côtés du naturaliste et poète allemand Adelbert von Chamisso avec une trentaine d’hommes d’équipage pour une mission d’exploration qui va les conduire du Chili à l’île de Pâques, du Kamtchatka au détroit de Behring, de la Californie aux îles Sandwich, aux Philippines et même jusqu’à l’île de Sainte-Hélène où Napoléon Bonaparte vient d’être exilé. Ce récit invite aussi à un voyage dans le temps et dans l’histoire, celle des grandes explorations et de la rencontre de l’humanité avec elle-même: le regard fin, le récit vivant de Louis Choris fait du lecteur un membre à part entière de ce petit équipage qui, au péril de sa vie, part à la rencontre de peuples, de faunes et de flores aussi variés qu’inconnus. Louis Choris décrit avec un souci constant d’exactitude les croyances, les rites et l’organisation politique de ces peuples, leurs goûts culinaires, leurs vêtements, leurs techniques de chasse, leurs danses, leur langue. La singularité des situations fait souvent sourire et tient le lecteur en haleine. Chaque île réserve ses surprises. Qui sait si l’accueil des indigènes sera bienveillant ou hostile? Le plaisir de la lecture réside dans le mélange entre analyse scientifique des découvertes et restitution cocasse des mésaventures du voyage. Le récit de Louis Choris est accompagné de notices rédigées par Adelbert von Chamisso, qui s’efforce d’identifier les espèces végétales rencontrées: autant d’entrées dans l’univers passionnant de la botanique. Le lecteur s’amusera par ailleurs de l’analyse fantaisiste du docteur Gall, que Louis Choris a intégrée à son récit, qui de la forme de crânes humains, tire des conclusions sur «l’opiniâtreté», l’amour des enfants, ou encore «l’organe de la vanité» fort développé selon lui chez les femmes du Golfe de Kotzebue, Mais c’est surtout la qualité des illustrations et leur parfaite adéquation avec le récit qui font la valeur de l’ouvrage. Plus de cent planches d’aquarelles allient avec une grande subtilité le souci ethnographique et le regard poétique de Louis Choris, un artiste capable de transcrire tout le mystêre d’une altérité aujourd’hui disparue à travers d’émouvants dessins d’objets de la vie quotidienne, instruments de musique (il donne même la partition de quelques airs), armes, vêtements et coiffures, ou encore d’habitations, de temples, d’embarcations, de paysages et, surtout, à travers des portraits de personnages rencontrés au cours de ce long périple.
Caroline Chevallier