Alors que réapparaissent sur nos écrans les images troublantes de São Bernardo, adaptation cinématographique du roman éponyme de Graciliano Ramos, les éditions Chandeigne proposent une nouvelle traduction du recueil de nouvelles de ce grand auteur brésilien, Vidas secas. Là où São Bernardo épouse le destin d’un paysan devenu par obstination et aveuglement propriétaire d’une fazienda, Vies arides s’attache aux scènes fragmentaires mais hautement significatives de la vie d’une famille (un vacher, sa femme, leurs enfants, la chienne) soumise aux caprices de la sécheresse. Parues en 1937, au début de la dictature de Getúlio Várgas et au terme d’une année d’emprisonnement, ces nouvelles s’ancrent dans un même territoire dénué d’exotisme mais pas totalement d’épopée (fût-elle dérisoire), le Nordeste, et se distingue par ses silences, sa façon de rendre compte avec une attention et une concision extrêmes des séismes intérieurs de ses personnages, qu’ils soient hommes ou animaux. Fabiano, Sinha Vitória et les leurs tentent au jour le jour de survivre, à la ferme où le hasard et la faim les ont jetés comme à la ville où ils ne dominent rien. Triomphe un sentiment de transition infinie, d’attente du pire, de la mauvaise rencontre, d’errance continuelle et cyclique, une vulnérabilité en suspens – notre empathie en tension. La dimension tragique du livre est à la fois désamorcée et accentuée par de brèves notations tantôt amères tantôt humoristiques qui font des personnages des parents pauvres de Don Quichotte (c’est Fabiano qui se rêve matamore –« Oui monsieur » se dit-il à lui-même en permanence- et reste la proie de ses doutes ; c’est Sinha Vitória regrettant le moulin de Monsieur Tomás et rêvant d’un lit nouveau). Finalement, il n’y a que la chienne (l’inoubliable Baleine) qui éprouve des « sentiments révolutionnaires », inspirée par un coup de pied et envoyée au paradis par un coup de feu. Chloé Brendlé VIES ARIDES, DE GRACILIANO RAMOS Chandeigne, traduction du portugais par Mathieu Dosse, 161 p., 20€