Une pasionaria entre Berlin et Rio La vie romanesque d'Olga Benario par Fernando Morais Olga Benario est une aventurière. Une femme engagée et amoureuse. Une héroïne. Juive allemande née en 1908 dans la bonne bourgeoisie munichoise, elle défraie une première fois la chronique en organisant l'évasion de son amant, Otto Braun, un cadre du mouvement des jeunesses communistes accusé de haute trahison contre le gouvernement de Weimar et enfermé à la prison de Moabit, à Berlin. Elle a 20 ans seulement et ne craint rien ni personne. «La jeune fille aux yeux bleus qui commandait le groupe gardait le pistolet appuyé sur la tête du garde. Après l'avoir désarmé, elle marcha à reculons vers la porte, tout en couvrant le prisonnier de son corps, et cria à ses camarades : Dehors ! Dehors! Je tire sur tous ceux qui bougent!» Le couple s'échappe et file vers le quartier ouvrier de Neukôlln où il se réfugie dans le petit logement prêté par le mouvement. L'édition spéciale du quotidien Berliner Zeitung Am Mittag fait les gros titres sur la «scène audacieuse de Far West» offerte par la jeune fille aux yeux bleus. C'est pourtant bien peu de chose comparé à ce qui va suivre. Réfugiée à Moscou avec Otto, Olga va être formée au maniement des armes puis chargée par le Parti d'escorter à Rio de Janeiro le leader communiste brésilien Luis Carlos Prestes. L'homme est un véritable mythe vivant dans son pays depuis qu'il a parcouru 25 000 kilomètres à la tête d'une «colonne» de 1500 rebelles, restée dans l'histoire sous le nom de «colonne Prestes». Son objectif, introduire au Brésil réforme agraire, gratuité de l'enseignement, droit de vote aux analphabètes, lutte contre la corruption… La colonne ne parviendra pas à ses fins mais ses exploits inscriront Prestes dans la légende. Réfugié en Argentine, le révolutionnaire gagne l'URSS en 1931 où il croise la route d'Olga Benario, séparée d'Otto Braun. Très vite, Moscou décide de renvoyer Prestes au Brésil pour faire tomber la dictature du président Getulio Vargas. Et lui assigne Olga en guise de garde du corps. On imagine aisément la suite, ces deux-là étaient faits pour brûler ensemble leur passion. Dans un récit incroyablement romanesque qu'il a mis plus de cinq ans à écrire, le journaliste brésilien Fernando Morais retrace cette épopée. «Cette histoire me fascine et me tourmente depuis mon adolescence, du temps où j'entendais mon père parler de Filinto Millier comme de l'homme qui avait fait "cadeau" à Hitler de la femme de Luis Carlos Prestes, juive communiste, alors enceinte de sept mois», écrit Morais en introduction de son récit. Car l'histoire se termine mal, terriblement mal. Les amants échouent dans leur tentative de renverser Getulio Vargas et ne parviennent pas à échapper au chef de la police brésilienne qui n'hésitera pas à livrer Olga aux Allemands bien que celle-ci soit enceinte de Prestes. La jeune femme terminera dans les camps de concentration puis d'extermination de Ravensbrück et Bernburg mais ne perdra jamais l'espoir de retrouver sa fille Anita Leocadia, que sa belle-mère était in extremis parvenue à arracher aux mains des nazis. Une fresque historique et une histoire d'amour bouleversantes que conclut la lettre rédigée par Olga à l'attention de Prestes et de sa fille, une demi-heure avant de partir pour la chambre à gaz. ALEXANDRA SCHWARTZBROD