La lucidité d’Oviedo de GONZALO FERNANDEZ DE OVIEDO

Cet ouvrage joliment édité est tiré de l’immense Histoire générale et naturelle des Indes, dont il forme le livre 42. Son auteur, Gonzalo Fernandez de Oviedo, est nommé chroniqueur général des Indes de Charles Quint en 1530: un emploi dont rêvait son ennemi, Bartolomé de Las Casas, qui dénonce son «arrogance», ses récits de seconde main et sa manière de n’écrire que ce qui est infamant et au détriment des Indiens». La réalité est plus complexe et ce livre, une merveille de style et l’ethnologie. Oviedo découvre en 1528 le Nicaragua et ses Indiens. Il a 50 ans. Fils d’hidalgos, il s’oppose en tout point à l’auteur d’Histoire des Indes. Pour lui, la servitude des Indiens et la méfiance envers cette «race maudite de Dieu à cause de ses vices et de son idolâtrie» sont une nécessité: il dénonce les baptêmes à la chaîne, qui, sans donner un seul véritable chrétien, permettent aux gouverneurs de «faire du chiffre» et d’obtenir de l’avancement. Il pense aussi que la colonisation doit être menée par l’élite de la noblesse, porteuse de valeurs sociales, militaires, morales, et non, comme le veut Las Casas, par de simples cultivateurs motivés. Au cours de précédents voyages aux Amériques, il s’est opposé à la corruption. Son troisième périple, au Nicaragua, fait l’objet de cette anthropologie. Oviedo s’entretient longuement avec les caciques. Pour mieux saisir par où faire entrer (ou tonner) son Dieu, il veut d’abord comprendre leurs mœurs, leurs dieux, leurs systèmes politiques et familiaux. Il les observe, les fait parler; la morale ne vient qu’après. On y sent sa curiosité, sa lucidité, son goût de la précision (beau chapitre sur l’usage du cacao). Il doute d’une évangélisation possible. Les Indiens qu’il dépeint ne sont jamais les «agneaux» de Las Casas. Ils se font la guerre, se mangent,mentent à l’oppresseur. Oviedo, leur «agresseur», les décrit plus précisément que Las Casas, leur défenseur attitré.