La poésie d’un pays n’a pas de commencement ou bien il faudrait en épier les traces au fond des cavernes de l’aurignacien ou dans le vent des savanes. Pour le Brésil, repérer les débuts de sa littérature est mission plus impossible encore, puisque les Indiens qui hantaient les jungles avant l’arrivée des Portugais étaient sans écriture.

Max de Carvalho a pourtant choisi de nous faire entendre, au début de son anthologie, les échos des poésies indiennes. Sous le beau titre « Les immémoriaux », il regroupe des légendes englouties ou des chants recueillis auprès des chamans par les ethnologues.

Certains objecteront que les premiers poètes du Brésil se souciaient de la parole indienne comme un poisson d'une pomme et qu'ils étaient plus influencés par les chansons de geste de l’Europe que par les tribulations de l'oiseau jaune ou du grand poisson de l’Amazone.

Ce n'est pas tout à fait exact. Parmi les premiers poètes portugais du Brésil, on rencontre quelques hommes, des Jésuites surtout, par exemple l’apôtre du Brésil, le grand José de Anchieta (l534-l597), qui parlaient le guarani. D’Anchieta, on connaît les sermons furieux, qui valent ceux de Bossuet au siècle suivant. Il écrivait aussi de puissants poèmes. Un jour, comme il était l'otage volontaire des Indiens tamoyos, il écrivit sur une plage, de la pointe de son bâton, un poème de 6 000 vers qu'il apprendra par cœur et transcrira plus tard. Certains tiennent ces calligraphies de sable pour le premier poème du Brésil.

Les Portugais débarquent en avril 1500. Ils sont éblouis. Sans sacrifier au thème de l’Eldorado retrouvé (obsession des Espagnols, qui sont des fous, non des Portugais, qui sont des marchands), les marins de Lisbonne sont enchantés par la beauté, l'insolite, la richesse, l’agrément et les curiosités de la nature. Max de Carvalho publie. à l'orée de son anthologie, quelques lignes écrites le 1er mai 1500 par Pero Vaz de Caminha, l'écrivain de la flotte portugaise qui est chargé de présenter au roi du Portugal, Manuel le Fortuné, les habitants du pays infini que les Portugais viennent, sans y comprendre rien, de glisser dans leur escarcelle :

Voici comment ils sont : la peau cuivrée tirant sur le rouge, de beaux visages, des nez beaux et bien faits. Ils sont nus sans rien pour se couvrir, ils ne se soucient nullement de cacher ou de montrer leurs parties honteuses ; ils ont sur ce point la même innocence que pour ce qui est de montrer leur visage.

La lettre de Pero Vaz de Caminha au roi Manuel, qui n’est malheureusement pas reproduite ici dans son long bien qu’elle soit très belle, poursuit en insistant sur l'opulence et le faste du nouveau pays, son exubérance, ses bêtes, ses arbres, ses bruits et ces folles couleurs qui illumineront jusqu'à nos jours la poésie brésilienne. « Célébration d’une démesure rythmée par la splendeur des paysages, commente Max de Carvalho, catalogues émerveillés exaltant la saveur du monde à travers les descriptions d'une flore et d'une faune souvent inconnues, des topographies scandées de mots indiens ; affirmation très tôt d'une supériorité naturelle sur le Vieux Continent, inaugurant une tendance plus tard désignée sous le nom « ufanismo », que le romantisme au XIXe siècle puis les avant-gardes du XXe théoriseront de diverses manières ».

La poésie brésilienne prend ainsi un départ fulgurant : reposant sur le socle immense et absent des légendes indiennes, galvanisée par les beautés sans fin du nouveau pays, pratiquée très vite par des athlètes du langage comme le père Anchieta, la parole brésilienne peut s’épanouir. Les fées du Parnasse se sont penchées sur son berceau. Tout est en place pour que la découverte de l'invraisemblable continent fasse naître des langages inouïs et des sons jamais entendus.

Pourtant, un autre péril guette la poésie brésilienne. Elle peine à se faire connaître car les rois du Portugal, peu enclins à gaspiller leurs deniers dans ce gros pays sauvage, préfèrent accorder leurs soins à l'Inde, qui est cultivée, qui a inventé le zéro et le jeu d'échecs, et qui est pleine de maharadjas. Si par mégarde la cour de Lisbonne jette un œil sur Bahia ou Sao Luis do Maranhao, c’est avec ennui et presque regret, pour en extraire quelques bénéfices et pour empêcher que le « pays de braise » ne se dote d'industries rivales de celles du Portugal.

Voilà pourquoi le Brésil colonial ne possédait ni industries, ni imprimeries. Tout pour Lisbonne, c'est le mot d'ordre ! Et sans imprimerie, comment éditer des livres ? Et comment exprimer vos états d'âme, vos convoitises ou vos langueurs, vos rêves, si vous ne pouvez pas publier des recueils de poèmes ?

Pour que le Brésil produise enfin des journaux et des livres, il a fallu attendre le début du XIXe siècle. En 1807, le général Junot campe devant Lisbonne. Le roi, sa cour, ses chambellans, ses comtesses et ses laquais filent comme des pets, montent sur des bateaux et s’installent à Rio de Janeiro. Ils autorisent l'imprimerie.

Les lettrés et les érudits du Brésil se lancent alors à la chasse au trésor. Ils fouillent les couvents, les résidences privées, les académies locales, les cahiers d’écoliers. La poésie brésilienne, qui était jusqu’alors manuscrite (à l’exception des recueils écrits au Brésil mais édités à Lisbonne comme la Prosopopée de Bento Teixeira), sort de l'ombre et elle est souvent magnifique. Elle est innombrable. C’est une poésie rescapée, sauvée de la poussière des scriptoria ou de la cendre des bibliothèques patriciennes.

Max de Carvalho a fouillé dans cet énorme fonds pour édifier son monument. Il met un peu d'ordre dans cette cohue de textes, mais discrètement. Il laisse au lecteur la bride sur le cou. Certes, il présente les auteurs « en respectant l'ordre donné par le temps historique et les courants qui s'y déploient », mais il s'affranchit des « hésitantes chronologies qui s'appuient sur les dates de naissance ou de mort des poètes ». Il préfère op&e