Dieu sauve la reine
C’EST l’histoire d’une reine qui va à confesse. Et quand celle-ci finit par monter au paradis, le confesseur raconte. Missionnaire capucin bourré de préjugés, le père Cavazzi n’en revient toujours pas : la reine Njinga était une idolâtre coupable de tous les péchés du monde, et elle est morte confite en dévotion. Njinga, c’est à la fois Cléopâtre et Catherine Il dans l’Afrique centrale du XVIIe siècle. Elle tue, elle fornique à gogo, et en plus elle mange de la chair humaine. «Elle m’a confessé qu’elle avait depuis toujours eu une extrême répugnance à manger de la chair humaine, mais que, par politique et pour être plus considérée et respectée, elle ordonnait de préparer de copieux banquets de ce genre.» Pour préparer ses onguents magiques, elle lance la mode consistant à piler un nouveau-né dans un mortier. «Maîtresse expérimentée en tyrannie», elle a de curieuses lubies, s’entourant d’une cinquantaine de jeunes concubins, véritables esclaves sexuels soumis à ses plaisirs et à sa cruauté: « Elle les forçait à porter des vêtements féminins et à dormir avec ses servantes, non seulement dans la même maison, mais au même étage, pieds contre pieds, tête contre tête, et ils devaient observer la chasteté. » Ceux qui ont fauté se retrouvent la tête coupée, les membres brisés, ou castrés. Tout cela sur fond de guerre permanente : Reeine du royaume angolais de Matamba pendant quarante ans, Njinga ne cesse de batailler contre les tribus voisines et contre les Portugais, qui veulent mettre la main sur ses terres. À sa dévotion, les guerriers Imbangala forment une sorte de secte militaire composée d’individus souvent capturés jeunes lors de razzias et initiés très tôt au combat selon des rites particulièrement cruels. Les Portugais, censés apporter les bienfaits de la civilisation, ne sont pas beaucoup plus catholiques : régnant par la croix et le fusil depuis un siècle dans la région, ils ne se font pas prier pour piller or et richesses et se livrer au trafic d’esclaves.
Jean-Luc Porquet