Première traduction française du témoignage d’un Vénitien aux Indes : Inde, Birmanie et Moluques. Forcé de se convertir à l’Islam, Conti rapporta à Florence la première vision d’ensemble des géographie et trafic maritime de l’Océan Indien. Reprécisons l’importance historique du voyage de Conti, « le premier Européen à pouvoir localiser assez précisément, pour y avoir vécu, les îles de l’Insulinde. De plus, grâce à une longue pratique des voies maritimes de ces régions, il était parvenu à une vue d’ensemble assez juste de l’organisation de l’océan Indien qui a inspiré les cartographes du XVe siècle (p.61) ». Conti identifie enfin les lieux d’origine d’épices prisées comme le poivre, noix de muscade et clou de girofle ( quoiqu’en les permutant ). Ce récit, riche en informations géographiques, est relativement court et elliptique, est cependant de la main de Poggio Bracciolini ( Le Pogge ), secrétaire du Pape Eugène IV. Un bon demi-millénaire après sa publication, le présent ouvrage constitue la première traduction en français de ce classique de la littérature de voyage ! Il fut pourtant célèbre en son temps, qui plus est d’une influence capitale sur la cartographie européenne de l’épique, au point d’avoir été un des livres de chevet de grands explorateurs tels Ludovico Varthema et Antonio Pigafetta ! Cette belle publication, qui comporte plusieurs cartes, est en quatre parties : 1. la très instructive préface historique, qui prend la moitié de la pagination ; 2. le récit du voyage proprement dit tel que transcrit par Le Pogge ; 3. le court témoignage de Pero Tafur, qui étaie le précédent ; 4. l’appareil critique, surtout annexe aux détails de la préface avec notes et trois reproductions, suivies de la bibliographie et de l’index alphabétique. Si le périple de Conti dura 25 ans officiellement, le témoignage de Pero Tafur, « un des trois principaux espagnols du Moyen Age et le seul à voyager pour son plaisir (p.45) » et que Conti côtoya en Egypte à son retour, indique plutôt 40 ans. La préface détaille les incohérences et la véracité entre les deux récits, ainsi que des ‘nécessaires travestissements’ opérés par Le Pogge ( voire par Conti ) pour raisons politiques et religieuses : « ainsi, la précision de la narration de Conti devrait beaucoup au crible de l’esprit éclairé, emprunt de géographie ptoléméenne, de son transcripteur. Nous serions en présence de l’œuvre de deux hommes, le compilateur s’étant éloigné de la neutralité jusqu’à jouer un rôle à part entière dans l’écriture de ce récit de voyage (p.51) ». Le récit de Pero Tafur semble autrement corroborer la réalité du voyage de Conti, bien que l’Espagnol s’illustre par un grand amalgame en Ethiopie, mais compréhensible pour l’époque, des détail et faits censés avoir eu lieu en Asie Mineure, en Inde et au Sud-Est asiatique… Sur le plan philologique cependant, ce récit a autorisé diverses conjectures quant au rôle du Pogge dans ses choix de retranscription des détails fournis par Conti. Du reste, la fin du Voyage aux Indes comporte tout un développement sur les fameuses Terres du Prêtre Jean ( l’Ethiopie ) et les sources du Nil , qu’il a librement adjoint sur la base d’un autre témoin. Veneziano Conti D’une manière générale, le Voyage aux Indes est pauvre en informations autres que géographiques. Même sa famille ( une Asiatique et quatre enfants ) sont à peine évoqués. Les informations personnelles du voyageurs sont quasiment nulles sauf sur le plan religieux, et/ou pour le grandir aux yeux des autorités catholiques. Ainsi de sa conversion à l’Islam, officiellement pour sauver la vie de sa famille : « en Egypte et dans les territoires du sultan, il dut dissimuler sa véritable identité, car les ressortissants castillans étaient interdits d’entrée et toute infraction punie de mort, du fait de la tension entraînée par la Reconquista (p.45) ». C’est même pour solliciter le pardon du Pape que Conti lui demanda audience à son retour, ce qui lui fut accordé sous condition de relater son périple. Ceci éclaire mieux l’optique qu’aurait prise Le Pogge dans sa retranscription, d’autant qu’il ne manque pas d’insister sur la présence des Nestoriens en Inde et en Chine. Plus curieux, rien n’est dit ou presque sur les mœurs et réalités en terres d’Islam, alors que l’intéressé y a vécu deux bonne décennies, au point de couramment parler arabe et persan. Dans la même veine, les détails ethnographiques sont imprécis, hormis la quantité de répétitions sur l’anthropophagie et les mœurs sexuelles dans telle ou telle autre contrée de son voyage. Exemple de ce passage plaisant et cocasse : « [Conti] remonta ensuite le fleuve jusqu’à une ville plus noble que toutes les autres, qui se nomme Ava et fait 15 000 pas de circonférence. Dans cette ville, il affirma qu’il y avait plusieurs boutiques, dont je [Pogge] décris en riant l’aspect lascif et ridicule : dans ces boutiques, des femmes seulement vendent ces instruments que nous appelons grelots et qui tintent. Ils sont en or, en argent et en cuivre et de la grosseur d’une petite noisette. Avant de prendre femme, les hommes se rendent dans ces boutiques car autrement le mariage ne pourrait se faire ; les femmes coupent la peau du membre viril en plusieurs endroits et elles insèrent ces grelots entre la peau et la chair, jusqu’au nombre de douze et plus encore, tout autour du membre en divers endroits. Une fois la peau recousue, les hommes guérissent en quelques jours. Ils font cela pour satisfaire la luxure des femmes. Car en raison des nœuds qui se forment et du renflement du membre, les femmes prennent grand plaisir lors du coït. Ainsi, lorsqu’ils marchent, nombre d’hommes font résonner les grelots de leur membre viril (p.97) » Aussi l’intérêt de ce témoignage est-il, dans l’ampleur du voyage certes, mais surtout dans les détails et dimensions des villes visitées, et les distances et temps de navigation. L’ouvrage discute ainsi amplement sur les contributions directes et indirectes de Conti à l’élaboration de la Carte génoise (1447/57, pp.74-75), et de la superbe Carte de Fra Mauro (1459, pp.80-84)