FOOTBALL / MONDIAL 2010
Le football brésilien étudié par un chercheur grenoblois : «Comme une dévotion»
par La Rédaction du Dauphiné Libéré le 08/06/10
Si la religion est étymologiquement «ce qui relie», alors le football en est bel et bien une au Brésil.
Du gosse des favelas de Rio aux faubourgs de Brasilia, de la mégapole São Paulo aux plages de Recife, le ballon rond unit un pays dans une quête quadriennale inchangée depuis 1950 : montrer au monde que le maillot auriverde trône inévitablement sur la planète foot comme la référence ultime. Et pourtant, «le» pays du football a d’abord accaparé le ballon rond pour… ses élites.
C’est ce que montre un livre passionnant du sociologue grenoblois Michel Raspaud, qui a passé six mois au Brésil pour écrire l’un des rares ouvrages sociohistoriques qui traite en France du foot brésilien.
«C’est un Anglais, Charles Miller, qui a amené le foot au Brésil en 1894. Et c’est l’aristocratie qui s’en est emparée, renforcée par les premiers clubs formés par les émigrés européens», rappelle M. Raspaud. Le foot initialement interdit aux noirs et aux… analphabètes !
Le joueur de rue interviendra plus tard, dans une poussée de fièvre massive que tous les réflexes post-coloniaux -l’esclavage n’a été aboli qu’en 1888- avaient retenu jusqu’en 1923 (le football préférait accueillir les ouvriers que les noirs et les analphabètes!).
Les grands frères de Garrincha, Pelé, Ronaldo et Kaka semèrent les graines à la création du championnat pro dans les années 30.
La Coupe du monde 1950, «porte d’entrée du pays dans l’ère moderne», écrivit son histoire sur ce terreau-là : «Cette épreuve a marqué le pays. D’abord parce qu’il a su construire le Maracana (200 000 places) en vingt-deux mois. Ensuite parce que la défaite face à l’Uruguay a sonné comme une catastrophe nationale. Pelé raconte que c’est la première fois qu’il a vu son père pleurer.»
2014 à l’horizon
La victoire en 1958 sonne, elle, «comme un dû. Depuis, la foi dans la sélection n’a jamais faibli. Tous les Brésiliens sont persuadés de gagner (le Brésil n’a subi que dix défaites, dont trois face à la France, en 18 coupes du monde). En 98, pas un n’imaginait ainsi perdre en finale, quand bien même c’était face au pays organisateur. C’est une forme de dévotion, autour de l’équipe nationale comme des clubs. L’amour peut être aussi fort que le désamour.»
Dans cet immense pays cimenté par un mouvement ouvrier très fort, le rendez-vous planétaire préfigure aussi le Mondial 2014 que le Brésil accueillera, deux ans avant les JO de Rio. «Cette conjonction est très forte politiquement», relève le sociologue. Parce que le Brésil entend montrer au monde qu’au-delà des pelouses, sa puissance économique et politique est également en passe de devenir une référence.
Jean-Benoît VIGNY
REPÈRES
à lire Histoire du foot brésilien par Michel Raspaud. Éditions Chandeigne, 20€.