Perles du Mozambique

Le nouveau recueil de nouvelles du grand écrivain d'Afrique lusophone décline avec une envoûtante poésie le désir et les rêves de femmes au destin souvent brisé.

Né en 1955 à Beira, au Mozambique, de parents émigrés dans les années 1950 dans cette colonie portugaise, Mia Couto, qui très tôt publia ses premiers poèmes dans le journal local Notícias da Beira, suivit des études de médecine qu'il abandonna pour embrasser une carrière dejournaliste. L’auteur de Terre somnambule (Albin Michel, 1994) ne se cantonne pas au roman. Et s'il se fait tour à tour conteur avec Le chatet le noir (Chandeigne, 2004) ou récemment commentateur politique au travers d'un pamphlet, Et si Obama était africain… (Chandeigne, 2010), Mia Couto est avant tout poète car ce qui prime chez le Mozambicain est la musicalité de sa phrase, l’inventivité de ses images. L'étoffe textuelle de Couto est d'une richesse extraordinaire, il le prouve encore une fois grâce à ce recueil de nouvelles, Le fil des missangas. Les missangas sont ces perles de verre qu'enfilent les femmes afin d'en faire des colliers. Ici ce sont les rêves, les fantasmes, les larmes s'égrenant tout le long d'un livre qui malgré le nombre (une trentaine) et la disparité des histoires, chatoient d’une même intensité.

Sages Pénélopes fileuses d'un temps plombé ou épouses qui n'attendent plus, femmes battues, femmes homicides, femmes stériles… le décor du Fil des missangas est planté dans un milieu rural ou modeste. La narratrice de «Faute avouée à demi pardonnée» a-t-elle vraiment assassiné son mari? Qu'importe, elle interpelle «monsieur l'écrivain»:

«La vérité est un luxe de riche» et sait qu'en prison «c'est tous les jours dimanche, c'est tout le temps la séance de quatre heures. Mon rêve n'a qu'un pas à faire, et me voilà asseyant ma tristesse privée sur un trottoir public. Je retoume là où je n’ai pas aimé mais où j'ai rêvé d'être aimée.» Et il est d'autres geôles dont le geôlier est votre propre père. Gilda, Flornela et Evelina («Les trois sœurs») sont captives du veuf Rosaldo, jaloux de ses filles jusqu'au meurtre… Mais on n'évite pas le désir, si coupable soit-il. Le narrateur de «Sœurette Celulina, stylocloque» raconte comment son père punit tous les auteurs putatifs du ventre rond de sa cadette: «Ma sœur passa sa main, sur l'arrondure (sic), caressant l'être invisible qui s’y enroulait. Personne ne remarqua le clin dœil qu'elle m'adressa dans une tendresse complice.» Les histoires sont brèves comme des anecdotes, mais le destin somme toute banal de ces antihéroïnes est rédimé par l'enchanteresse écriture de Mia Couto, faite de mots-valises, de néologismes (ici une robe est «cœurchiffonnée», là les hommes «histoiredrôlaient»), d’«improverbes» (dictions inventés par l’auteur) et des fleurs d’un langage à la chair pleine.

Sean James Rose