Histoires comme ça

Toute une humanité s'ébroue dans les courtes nouvelles

de cet écrivain du Mozambique.

Mia Couto: un univers singulier et un langage unique.

 

SÉBASTIEN LAPAQUE

 

On songe aux gravures sur bois, à l'art populaire vivant, en lisant les histoires rassemblées par Mia Couto dans son dernier livre. Vingt-neuf vignettes en noir et blanc rehaussées d'or, d'argent et de diamants.

Sans oublier les perles de verre, les missangas en portugais. Toute une humanité s'ébroue dans ces courtes nouvelles qui ont pour cadre le Mozambique, mais qui pourraient se dérouler n'importe où ailleurs – dans un monde qui n'aurait congédié ni son enfance, ni ses rêves. On y rencontre des femmes blessées, des vieillards mélancoliques et des enfants songeurs confrontés à la «maigreur de la vie» et aux raisonnements implacables de leurs semblables. Tous se battent pour réenchanter le monde en dissipant l'illusion des apparences. «Les temps d'aujourd'hui sont de la javel délavant les merveilles», se lamente une veuve au cœur serré. Une autre gémit: «Je n'ai jamais dépassé les mi-chemins, les mi-désirs, la mi-saudade. D'où mon nom: Maria Metade, Marie Moitié.»

«Il est bon de ne pas manquer de fous»

Plus loin, un vieil homme a des aspirations plus prosaïques : il s'est fait enterrer avec son poste de télévision, pour ne pas manquer la novela brésilienne de six heures. Ailleurs, un enfant qui écrit, des vers est conduit chez le docteur pour se faire soigner. «Que le médecin fasse une révision générale, partie mécanique, partie électrique », a ordonné son père, mécanicien. Il est également question de trois sœurs, Gilda la rimeuse, Flornela la cuisinière et Evelina la brodeuse, belles comme des princesses d'une légende médiévale. De Sinhorito, un homme au cœur simple parti à la rame vers le large et qu'on n'a jamais revu malgré l'amoureuse attente d'Eulàlia. Celui-là semblait fou. Fou comme le Quichotte ou le prince Muychkyne. À la dernière page du livre, la voix de l'écrivain se fait entendre pour le saluer comme un frère. «Il est bon de ne pas manquer de fous. Les uns se succèdent aux autres, en rosaire. Telles des perles de missangas, traversées par le fil du scepticisme.»

La langue de Mia Couto est somptueuse, à la fois classique, baroque et révolutionnaire, pleine de jeux de lumière, de trouvailles et d'inventions. D'un personnage à l'autre, son imagination cabriole en liberté, traquant partout le sentiment du merveilleux. «Il y a un fleuve qui traverse la maison. Ce fleuve, dit-on, c'est le temps. Et les souvenirs sont des poissons nageant à contre-courant. Mes souvenirs sont des oiseaux. S'il y a une inondation, c'est de ciel, trop-plein de nuage. Je vous guide par ce nuage, mon souvenir», confie un personnage.

En expérimentant toutes les possibilités d'un registre poétique superbement maîtrisé, cet écrivain africain de langue portugaise renouvelle l'art du conte et redonne de l'épaisseur à nos vies soumises au régime sec de l'argumentation logique.

 

Le Fil des Missangas de Mia Couto, traduit du portugais (Mozambique) par Élisabeth Monteiro Rodrigues, Chandeigne, 174 p., 15€.