Fracassante relation de naufrage contre ce traître et dangereux atoll n’émergeant qu’à marée basse. Ce haut-fond de 30 km de circonférence aurait par le passé achevé quelques centaines de navires cinglant sur son rhumb, par la route intérieure entre Mozambique et Madagascar. Comme le précise l’introduction, « toute la frontière sud-ouest et sud-est de l’atoll est en effet, sur près de 25 km, balayée par des déferlantes qui, dans un bruit assourdissant, projettent en permanence sur le récif des vagues d’une hauteur moyenne de 3 à 7 mètres. Autant dire que le mouillage et le débarquement sont en ces lieux interdits (p.21) ». Cette géographie maritime n’a pas changé depuis le XVIe siècle comme le corrobore un des Jésuites réchappés : « le récif était escarpé sur ses flancs, la nef s’éventra aussitôt par le milieu, les parties hautes tombèrent d’un côté et les basses de l’autre, si bien que le fond de la coque se disloqua dans la mer, tandis que le tillac, ou pont supérieur, avec la poupe et la proue, s’encastrèrent sur le récif où il n’y avait d’autre terre que des pierres vives de corail tranchant comme des poignards. A marée descendante, on voyait, l’espace d’une heure, apparaître quelques masses solides, qui se recouvraient ensuite. Or notre naufrage advint en ce temps-là, ce qui fut une particulière providence de Dieu. Car si la marée avait été basse, sur un tel obstacle taillé à pic, la nef se serait brisée en mille morceaux et nous aurions tous coulé par le fond, sans que nul n’en pût réchapper. Sans aucun doute les parties hautes n’auraient pu se retrouver posées sur le récif, et les premiers coups de boutoir sur la coque nous auraient tous précipités à l’eau sans remède. Mais Dieu dans sa bienveillance nous octroya le temps de nous confesser tous et d’aider quelques-uns à se sauver (pp.140-141) ». L’introduction indique aussi comment les Bancs de la Juive devinrent possession française en août 1897, rejoignant le groupe des quatre autres Iles Eparses de l’Océan Indien français. Le glissement onomastique de Baixos da Judia en Bassas da India puis en Bancs de la Juive est évoqué, tout comme son important potentiel archéologique, souvent pillé par les riverains de part et d’autre du Canal de Mozambique. En effet, le marché international, passé et présent, a pu s’intéresser à la quantité de biens libérés des cales éventrées au fil des siècles, dont plusieurs exemplaires de porcelaine chinoise, des ères des empereurs Yongzheng (1723-1735) et Qianlong (1736-1796), l’illustre empereur Qing que les jésuites comparèrent à Louis XIV. La présence de porcelaine chinoise sur la côté est-africaine est attestée au moins depuis les Ming au début du XVe siècle ( cf. l’expédition de l’amiral Zheng He). Enfin, précisions que cet ouvrage comporte deux témoignages oculaires qui se recoupent bien, ceux du marin Manuel Godinho Cardoso et du jésuite Pedro Martins, avec diverses cartes illustrées des photographies de l’atoll prises par la NASA. La dernière heure : l’heure des confessions Une bonne partie des deux textes détaille les circonstances de ce désastre échu en pleine obscurité nocturne, et dont les superstitieux avaient noté des signes avant-coureurs comme ce poisson inconnu qui avait longuement suivi le Santiago. Pedro Cardoso rappelle les circonstances du cauchemar : « ce naufrage, nonobstant, eut des circonstances qui en font à mon avis le plus effroyable ou l’un des plus effroyables et horribles qu’il y eut au monde. La première fut le temps, à savoir une nuit des plus ténébreuses où l’on ne voyait ni ciel ni terre, et à peine les rouleaux de mer qui nous submergeaient sans relâche. Le seconde, de nous avoir pris en plein sommeil si bien que nous étions presque tous semi-dénudés. La troisième, d’avoir été de minuit jusqu’à l’aube en une continuelle agonie de la mort, parmi les débris du tillac sur lequel les vagues déferlaient sans cesse, sans oublier les cris et lamentations de tous qui imploraient à grands bras les remèdes divins et réclamaient désespérément la confession. Nous étions six prêtres : quatre des nôtres et deux dominicains, sans compter l’inquisiteur et son compagnon. En cet instant de vie si bref et précaire, nous nous répartîmes, le mieux que nous pûmes, pour porter à chacun le remède nécessaire (p.141) ». Un aspect très intéressant de ce double témoignage, sur les plans humains et psychologiques, est comment face à l’adversité l’individualisme cède devant le repentir et l’expiation de ses fautes. Cardoso poursuit sa description des hommes dans leur bien sombre calvaire : « l’eau s’abattit avec rage sur les récifs, après quoi elle filait dru vers le nord-est, ce qui semblait être la direction générale du courant dans ces parages. Il y eut ce matin-là bien des pleurs, et de grandes démonstrations de contrition et de repentir. On récita les litanies, on implora la miséricorde de Dieu, nombre de gens se frappaient eux-mêmes pour manifester leur repentir et leur douleur, d’autres brandissaient des retables de Notre-Dame, en se plaçant sur des points élevés pour être mieux vus, et l’assemblée s’agenouillait en criant et en sanglotant, implorant Notre-Dame de leur porter secours, car sans plus d’espoir de salut de leur corps, ils ne songeaient qu’à celui de leur âme (p.64) ». Et le père Martins de corroborer la suite de ses dires, presque mot par mot : « certains étaient si impatients et affolés, sentant déjà le fil de la mort sur leur gorge, qu’ils ne pouvaient attendre et faisaient à voix la haute confession de péchés si énormes et hideux qu’il fut nécessaire de leur coller la main sur la bouche. D’autres cherchaient ceux qu’ils avaient offensés ou volés pour leur demander pardon, et s’ils ne pouvaient les trouver, ils disaient : ‘Avez-vous vu Untel ? Demandez-lui pardon car je voulais le tuer en arrivant en Inde’ ; ou ‘Pour telle et telle chose que je lui ai dérobée, qu’il me pardonne ! (p.141) »… Au matin, le châtiment fut impitoyable comme Cardoso le présente sans ambiguïté : « les récifs étaient couverts de gens, que ni ceux de la barque, ni ceux des radeaux ne voulaient recueillir. Ils perdaient pied à mesure que la marée montait, si bien que ceux qui ne savaient pas nager se noyèrent les premiers, et ceux qui sa