Collaborateur de François Xavier et cinquième jésuite à poser le pied à Cipango, Froís (1532-1597) laissa une grande correspondance et plusieurs œuvres, dont une monumentale Histoire du Japon et dont le présent Traité est un lointain et savoureux dérivé, redécouvert en 1946 !

 

Ce texte reposait depuis quatre siècles à la Bibliothèque Royale de l’Académie d’Histoire de Madrid, avant que le jésuite Josef Franz Schütte ne le découvre en 1946 et ne le fasse publier ensuite au Japon. Le regain d’intérêt pour l’œuvre de Froís doit beaucoup à ce Traité qui, de manière dichotomique et plaisante, dresse les différences entre Occidentaux et Japonais que tout semble opposer, tant par les modes de pensée que de comportement. La langue japonaise fut elle-même un temps considérée comme la « langue du diable », tant sa logique en effet est contraire, dans les deux sens, à la logique indo-européenne. Plusieurs jésuites soulignèrent combien les choses au Japon semblaient faites exprès à l’inverse de l’Occident, dont nombre assez triviales :

• « Chez nous, les ongles longs sont un trait de malpropreté et de mauvaise éducation ; les nobles japonais, hommes et femmes, ont des mains telles des serres d’éperviers (p.44) » ;

• « Nous crachons tout le temps et n’importe où ; les Japonais ravalent d’ordinaire leurs crachats (p.47) » ;

• « L’épée que nous ceignons se tient d’une seule main ; toutes celles des Japonais, très pesantes, doivent avec les deux (p.47) » ;

• « Chez nous, c’est s’avilir et se discréditer que de s’enivrer ; les Japonais s’en réjouissent et si on leur demande : ‘que fait le Tono [ = seigneur féodal ] ?’, ils répondent ‘il est saoul’ (p.76) » ;

• « Nous tenons pour légendaires toutes les histoires de sirènes et d’hommes de marins ; les Japonais croient que sous la mer, il y a un royaume de lézards, doués de raison, qui y trouvent un éternel salut (p.105) ».

 

La préface détaille l’arrivée des Jésuites au Japon, répétant à plusieurs endroits comment Froís fut compagnon de route du célèbre navigateur portugais Fernão Mendes Pinto. Cipango, comme l’immortalisa le célèbre sonnet de José-María de Heredia : en fait, n’est en fait une ( mauvaise ) retranscription portugaise du chinois Rìbenguó, littéralement pays ( guó ) de l’origine ( ben ) du soleil ( rì ). Le ‘r’ et le ‘b’ en retranscription piyin se prononçant respectivement comme ‘g’ et ‘p’ en français, il vient que Japan et Japon sont une retranscription du mandarin, les Japonais n’ayant eux-mêmes pas conscience d’être plus proches du ‘soleil levant’ que tout autre peuple sur Terre. Cela étant dit, le Traité est intéressant à plusieurs titres ; sur la personne de l’auteur d’abord, excellent et honnête observateur du pays, sauf lorsqu’il s’agit de religion, où le chapitre IV est d’une évidente mauvaise foi, quelles qu’en soient les motivations.

 

En s’identifiant systématiquement à l’Occident ( « nous », « chez nous », « en Europe », etc. ), Froís est clairement occidental, mais pas seulement : en témoigne d’abord l’abondance de termes japonais qui parsèment son portugais pourtant classique : « il utilise fréquemment des mots japonais, ce qui démontre sa profonde acculturation à la langue locale (p.33) ». Exemple : « chez nous, il serait mal élevé d’écrire entre les lignes ; dans les lettres du Japon wazato [intentionnellement], on écrit toujours entre les lignes (p.94) ». C’est ensuite une somme d’éloges donnés du bout des lèvres à l’intelligence de cette nation japonaise ( sauf en ce qui concerne la religion, la défense de la vie, et l’indépendance des femmes dans tous les domaines ). Force autres exemples sont donnés plus bas.

 

Froís et le Japon féodal

 

Cette édition s’enrichit de quatre autres types de documents. Tout d’abord, le texte est émaillé d’une quinzaine de reproductions d’art namban, c’est-à-dire de peintures japonaises avec influence occidentale, auxquelles il faut adjoindre six pages de cartes d’époque. Le Traité est lui-même suivi de deux autres témoignages occidentaux, respectivement datés de 1547 et 1548, qui complètent et corroborent les assertions de Luís Froís. Enfin, l’appareil critique ( notes et chronologie ) explicitent de nombreux points relatifs au dit Traité ou à l’histoire du Japon. En particulier, l’expansion et l’extinction de la présence jésuite est présentée avec détails, presque chronologiquement depuis son essor à partir des années 1540 jusqu’au début de la crucifixion des chrétiens en février 1598, quelques mois à peine avant le décès de Froís.

 

Froís connut bien les deux hommes forts du Japon de l’époque, Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi, soit les deux derniers Gosho, l’équivalent du Shogun, terme qui ne sera employé qu’au siècle suivant avec l’avènement du shogunat Tokugawa (1602-1868). C’est ainsi que « le 4 mai [1586], Froís et Coelho sont reçus en audience solennelle par Toyotomi Hideyoshi (1536-1598), qui a remplacé Nobunaga, assassiné en 1582. Le 24 juillet [1587], après une nouvelle visite de Coelho, Hideyoshi décrète l’expulsion des missionnaires ; toutef