L’histoire des mentalités revêt une importance particulière s’agissant du Japon qui, isolé du monde de façon durable, est décrit de manière sporadique, fugace et subjective par les Occidentaux, et qui perçoit à son tour le restant du monde de son télescope déformant jusqu’à des temps assez récents. Le recueil de Xavier de Castro, un spécialiste du Portugal à l’époque de son expansion, réunit un ensemble de textes et de documents relatifs à la découverte du Japon par les Européens jusqu’à la disparition de François Xavier (1506-1552), le premier jésuite à avoir pénétré dans l’archipel. Il s’agit de matériaux de première main qui sont tous européens à l’exception d’un rarissime témoignage japonais sur l’arrivée des Portugais dans l’archipel nippon. On en peut que se féliciter de cette initiative qui, à vrai dire, manquait parmi les études sur la question, et vient non seulement pallier une lacune mais donne une meilleure assise pour des perspectives futures. Un accent est mis sur la représentation que l’on se faisait du Japon à travers l’imaginaire et les cartes géographiques, ce qui permet d’apprécier et de situer à leur juste place les documents écrits qui relatent les descriptions de l’archipel dans l’univers tel que se le représentaient les Européens.
Une connaissance mutuelle s’était développée dès le début du XVIe siècle, en raison du développement du commerce dans l’Asie: comment les Japonais pouvaient-ils ignorer la présence d’Européens alors même que ceux-ci, depuis Vasco de Gama (1460-1524) parti « chercher des chrétiens et des épices », Francisco de Almeida (1450-1510), puis surtout Alfonso de Albuquerque (1453-1515) fondateur de l’Estado português da India et de la conquête de Goa (1510) et de le Malacca (1511), bases du commerce dans toute l’Asie et d’un empire luso-asiatique de factories, ou encore Lopo Soares de Albergaria (1442-1520), Diogo Lopes de Sequeira (1465-1530) et Jorge Alvares (?-1521) qui identifie pour la première fois la Chine en 1513, se déployaient en Asie de l’Est et en Chine? Et comment les Européens pouvaient-ils ne pas savoir que des navigateurs et commerçants japonais faisaient du négoce en Asie dès cette époque? Ne dispose-t-on pas de témoignages de ces activités commerciales qui permettraient d’étendre les perspectives, tels la Suma Oriental de l’apothicaire Tomé Pires qui, en 1516, décrit l’île du Jampom en quelques lignes (p. 17)?
Xavier de Castro reprend les descriptifs les plus classiques, qui sont aussi les plus circonstanciés, sur le Japon: en s’arrêtant à 1551, c’est à un Japon quasiment imaginaire que l’on a affaire, juste avant que les lettres et rapports sur ce pays revêtent une valeur plus réaliste et objective. Une exception notable est la Chronique de l’Arquebuse (Teppoki), faisant état du côté japonais de la présence portugaise, à ses débuts, dès 1543 (la date traditionnelle de 1542 concerne un accostage dans les Ryukyu [Okinawa]).
L’ouvrage est introduit par une consistante préface historique de la main de Rui Loureiro qui retrace les grandes étapes de cette découverte (p.7-46) et définit l’esprit de la compilation. Les Portugais sont en Orient depuis Vasco de Gama (1498), mais les descriptions et cartographes reprennent Marco Polo (1254-1324) dont le Livre des Merveilles(1298) circulait au Portugal au XVe siècle; le voyage entrepris par Christophe Colomb (1451-1506) en 1492 mettait le cap sur Cipango, situé par lui sur la côte est de l’Amérique. Le commerce avec l’archipel producteur d’or et d’argent ne semble débuter pourtant qu’en 1542, relayé par celui lucratif d’intermédiaire entre la Chine et le Japon alors en proie aux guerres civiles. La découverte de la culture de ce Japon accueillant, habité par une civilité et une curiosité d’esprit remarquable, est relatée par Jorge Álvares (1548) dans son information sur le Japon; elle suscite l’intérêt de François Xavier qui instaurera les fondements de la mission jésuite dès 1549.Les Japonais « raisonnables » plus que tout autre population, doivent être convertis par le haut, les seigneurs de province (daimyo);les marchands portugais saisissent l’occasion d’y développer à grand rythme leurs négoces. Le recueil de documents s’arrête à cette date où débute une intense activité missionnaire, éditoriale et commerciale qui ne s’interrompra qu’avec les interdictions successives du christianisme au Japon, en 1614 puis 1639, que la préface relate avec précision tout en faisant le point sur des questions historiques.
Un recensement des principales cartes du Japon (p. 49-98), à la fois succinct et précis, est suivi d’un fort utile examen philologique et critique de la relation de Marco Polo sur Cipango. L’auteur passe en revue les rêves et les phantasmes suscités par la fiévreuse quête de Cipango entre 1474 et 1526, chez le Florentin Toscanelli (1397-1482), le Gênois Colomb, Magellan, et l’Espagnol Garcia Joffre de Loaysa (1490-1526)(p.113-129). L’entreprise désastreuse de Ruy Lopez de Villalobos (1542) est rapportée par Escalante de Alvarado, en 1548, qui donne des détails sur le commerce et les coutumes des Japonais qui parlent une langue ressemblant à de l’allemand (p. 131-139). Suit la première longue et détaillée information des choses du Japon de Jorge Álvares (1548), qui accoste en 1546, en compagnie probable de Fernão Mendes Pinto, et fait part à François Xavierdes choses japonaises à Malacca, ce qui est à l’origine d’une large diffusion de ce texte en Europe (p. 141-157). Viennent ensuite trois lettres de 1548, l’une de François Xavier à partir de Cochin, et deux autres du jésuite Italien Niccolò Lancilotto (†1558), l’une d’elles ayant été par le passé attribuée à François Xavier (p.159-180). La Chronique de l’Arquebuse (Teppoki), traduite de seconde main, a été composée en 1606 par le moine-lettré Zen, Nanpo Bunshi (1555-1620), versé en confucianiste (et non pas moine confucianiste ainsi qu’il est défini); elle relate en détails les circonstances de l’introduction de l’arme à feu, le 25 du 8emois de 154