L'écrivain brésilien invite le lecteur à plonger dans un monde fantastique, plein de culpabilité et d'innocence.

Dans le Nordeste, au Brésil, les gens aiment les histoires racontées à voix haute. On ne s'étonne donc pas d’entendre Ronaldo Correia de Brito quand on le lit. « Une vie d’homme est dangereuse, car la mort se plante dans des lieux incertains. Il  la rencontre en route, se heurte à elle, en embuscade au milieu du chemin. Immobile, elle vient à sa rencontre, déguisée sous bien des apparences. Il y a des signes qui portent la révélation du danger. Vivre est la science de déchiffrer ces signes. »

Cet art du dire évoque celui des repentistas, ces continuateurs brésiliens des troubadours du Moyen Age, qui s'accompagnent à la guitare pour déclamer en bouts rimés la vie de personnages réels ou fabuleux : Charlemagne et Roland, les bandits Lampiao et Maria Bonita, sans oublier l’esclave Zumbi, qui apparaît fugitivement dans Le Jour où Otacilio Mendes vit le soleil.

Né en 1951 dans l’État du Ceara, Ronaldo Correia de Brito vit à Recife, où il exerce la profession de médecin. Son travail d'écrivain que les lecteurs français sont invités à découvrir à travers ses nouvelles, trois ans après la publication du roman Le Don du mensonge (Liana Levi), témoigne d'un continuum entre la culture populaire et la culture érudite qui est un des aspects les plus étonnants de la civilisation brésilienne.

Œuvre d’un auteur éduqué, capable de disserter sur les échos du Faust de Goethe dans Diadorim (Grande Sertao : veredas), de João Guimaraes Rosa, Le Jour où Otacilio Mendes vit le soleil illustre cependant la survivance d'une authentique culture populaire en Amérique du Sud. Une culture populaire que Ronaldo Correia de Brito perpétue en adoptant un style qui restitue le charme de la chose parlée, invitant son lecteur à plonger dans un monde fantastique, plein de culpabilité et d’innocence, de tristesse et de beauté, dans lequel il est question de la vie et de la mort, de l’amour et de la haine, de la jalousie, du deuil et de la fraude. Dans ses histoires ciselées comme des bois gravés, on croise un bandit devenu un saint, un homme qui répète à sa famille qu'il va se tuer, un mari qui n'arrive pas à se persuader que sa femme l’a quitté pour des Gitans, une femme dévorée par la rancœur – et beaucoup de fantômes et d'âmes errantes : on est quand même au Brésil! Parmi les plus émouvantes de ces créatures, Joao Emiliano, cultivateur et musicien, s’interroge sur les sentiments profonds de sa femme à l’agonie : « Joao Emiliano voyait Maria Madalena mourir sans lui avoir jamais demandé qui elle aimait le plus : l’agriculteur qui remplissait la maison de légumes ou le violoniste. »

Poétiques et didactiques, écrites dans un portugais frais comme un ruisseau de printemps – ce qui n’est pas toujours le cas dans un pays où les écrivains aiment employer une langue sombre et dense – les nouvelles de Ronaldo permettent d’entendre et de retrouver une morale des gens ordinaires que le bruit de la civilisation techno-marchande a recouverte de choses vulgaires. Offensés et humiliés, les yeux tournés vers le Ciel, ses personnages endurent, mais ne veulent pas croire que leur douleur est vaine : « Quand un homme pleure, l'ordre du monde se reconstitue ; quelque chose de nouveau se crée pour compense ces larmes. »