"Otacílio Mendes rentra à la maison plus tôt que d’habitude. D’un pas rapide et décidé, il prit le fusil et s’enferma dans la chambre. […] Otacílio allait mourir, elle le savait. On interrompit les travaux des champs, le moulin à sucre s’arrêta de fonctionner, on éteignit le feu des marmites de mélasse. Les douze enfants revinrent de leur besogne et s’assirent autour de la table, attendant que leur père se décidât à appuyer sur la gâchette ou à venir au salon pour leur faire face. S’il n’y avait pas eu le caquètement d’une poule qui avait fait son nid derrière un vieux coffre de la chambre et voulait à présent y entrer, on aurait entendu voler les mouches."

Le jour où Otacílio Mendes vit le soleil, du Brésilien Ronaldo Correia de Brito, est un livre sur le temps. Chacune des onze nouvelles qui composent le recueil en expose une facette, depuis le Temps avec un T majuscule, extérieur et « objectif » – comme le qualifiait le philosophe Henri Bergson –, jusqu’aux diverses perceptions que l’on peut en avoir. Les gestes des personnages qui traversent ces histoires sont comme suspendus au poids des heures qui passent ; le rythme et les remous de la vie extérieure se heurtent à la lenteur des vies intérieures et au battement cadencé des horloges qui égrènent les instants qui nous séparent encore de la mort. Si bien que, au fil des nouvelles, « une certaine forme d’atemporalité » finit par prendre corps, note Almir de Freitas dans le mensuel brésilien Bravo ! : « On la devine dans la persistance du passé lointain », qui pèse sur les vies de Donana, Aldenora, Ciça, ou encore Leonardo Bezerra ; mais «elle se manifeste surtout dans cette fatalité essentielle, première, qui voue tout et tout le monde à la disparition, à l’oubli, à la mort».

Correia de Brito réactive « l’un des plus anciens archétypes de la tragédie grecque, selon lequel le mal surgit toujours au sein de la famille, que le sort mène droit à l’extinction ». Dans « Tourbillon », l’un des plus beaux récits du livre, on assiste à la confrontation d’un fils avec sa mère, derniers représentants d’une lignée aristocrate : lui, trahi par son frère ; elle, complice du crime. « Inácia Leandro » met aux prises un frère et une sœur ; « Cícera Candóia », une fille et sa mère. Même dans « Lame » ou « Amour mensonger », où les couples se déchirent, les crimes ne sont jamais passionnels : « Quelque chose de plus pervers est à l’oeuvre – un destin, qu’on ne saurait éviter. » Originaire du sertão, cette région semi-aride du Nordeste brésilien, Correia de Brito se meut sur les terres du sacré : les renvois au texte biblique (avec lequel l’auteur a appris à lire) jalonnent l’ouvrage, et la puissance évocatrice des légendes traditionnelles confère à sa prose une dimension mythique, quasi fantasmagorique.

Suzi Vieira