Sept mois de navigation depuis l’Inde : lourdement chargée d’épices, d’or et de  diamants, la Conceição est interceptée par une flotte ottomane au large du Portugal. Après une bataille épique si près du but, les marins sont capturés et emmenés à Alger. Voici leur témoignage.

 

Avant d’entamer la lecture du récit, le lecteur curieux consultera avec profit l’instructif dossier historique (pp.187-207) situé en fin d’ouvrage, ainsi que le glossaire et l’intéressant dossier iconographique de documents européens qui permettent surtout « d’imaginer l’idée que les Européens se faisaient alors d’Alger et de l’empire Turc (p.209) ». Cette première traduction française de l’original de 1627 appartient à la literatura de cordel alors en vogue au Portugal. Son histoire à rebondissements, sa riche description des pratiques gouvernementales et des mœurs ottomanes en font un témoignage de premier plan, qui précède mais étaye le témoignage de captivité à Tunis ( 1669 – 1672 ) de Jean Bonnet tel que rapporté par Antoine Galland : Histoire de l’Esclavage d’un Marchand de la Ville de Cassis . Curieusement, la relation de Mascarenhas ne fut pas incluse dans la sélection du grand classique Historia Trágico-Marítima, dont une partie est disponible en français dans Histoires Tragico-Maritimes.

 

Naufrage de la nef Senhora da Conceição

 

Construite en Inde en bois de teck, la Conceição était donc plus résistante que les bâtiments européens en chêne et pin. En passant Le Cap, se posa le problème du réapprovisionnement en eau ; les consignes étant d’éviter le continent, on fila vers les îles de l’Atlantique ( dont Sainte Hélène ), où un étrange ermite voulut débarquer par deux reprises au motif que la nef était condamnée. Propos prophétiques, puisque c’est non loin de l’embouchure du Tage que la Conceição se retrouva de nuit parmi la flotte ottomane…

 

Les circonstances de la capture, de l’incendie et du naufrage relèvent autant d’erreurs de jugements de la part des officiers portugais que de la geste héroïque. L’auteur en était conscient : « ce fut là l’un des plus fameux combats de notre temps. S’il avait eu lieu dans une autre nation que le Portugal, on en aurait fait d’autres livres et d’autres récits qui se seraient répandus à travers le monde, et il n’y aurait province, si éloignée fût-elle, qui n’en eût connaissance. Qu’un seul navire, avec vingt-deux pièces d’artillerie, ait livré bataille pendant toute une journée, sans recevoir et sans se rendre, à dix-sept gros vaisseaux armés chacun de trente-cinq à quarante pièces, je ne sais si cela est jamais arrivé. Et que six soldats qui venaient requérir le prix de leurs services, huit passagers et quatre-vingt-dix marins et mousses, épuisés par une traversée de huit mois, se soient battus contre cinq mille Turcs, tireurs courageux, qui avaient quitté Alger depuis seulement quatorze jours, jamais à ma connaissance, dans les temps anciens ou modernes, rien de pareil n’est arrivé dans aucune nation. Cet événement fut unique au monde (p.36) »… Le trémolo sur la relative insignifiance du rayonnement Portugal n’est pas qu’un saut d’humeur, il s’explique aussi par la tutelle politique du pays par la Couronne espagnole : le dossier historique donne de plus amples précisions sur les conséquences politiques.

 

Description d’Alger

 

Si Mascarenhas n’omet jamais de décrire les exactions des Turcs envers les Chrétiens, ni même quelques piques médisantes comme « les Turcs veulent que nous tenions notre parole, sans se sentir obligés de tenir la leur (p.59) », il rend aussi hommage à leur courage et la bonne organisation et ‘gouvernance’ des Ottomans. Ainsi, contrairement aux ‘clichés’ de barbarie colportés en Europe, le Portugais est agréablement surpris : « le traitement que les Turcs réservèrent aux gens répartis dans leurs navires fut très bon, et non tel qu’on l’attendait de la part de pirates barbares […] ils nous apportaient à manger, et certains, le plus charitablement du monde, nous donnaient de l’argent. C’est une habitude en ce pays : dès qu’arrivent de nouveaux captifs, et en attendant qu’ils aient un patron, les anciens leur fournissent tout le nécessaire jusqu’à ce qu’ils soient vendus ( pp.52, 55 ) ».

 

Il ne tarit pas non plus d’éloges sur Alger, en commentant abondamment son organisation politique ( pachas, caïd ), sa justice ( agas, cadis ) et son gouvernement, le diwan. De la part de ce grand voyageur, un homme qui occupa des postes élevés dans l’administration coloniale et visita une grande partie de l’empire ( Indes, Afrique, Brésil ), ses propos n’ont que plus de poids : « les bains sont construits sur un très bon plan. Ils sont très propres et très saints pour le corps. On n’y trouve aucune femme ni aucun homme souffrant de bubons ou d’autres maux de ce genre, car les Turcs fuient le mal français comme nous fuyons la peste […] mais je n’ai vu jusqu’à ce jour aucun pays plus frais en jardins, plus abondant en fruits, mieux pourvu de vivres à bas prix, plus copieux en fontaines, plus tempéré de climat, plus riche d’argent, – car il en entre du monde entier et il n’en sort vers aucun pays – , que cette ville d’Alger. Fasse le Ciel qu’elle appartienne un jour à notre couronne ! ( pp.77,91 ) »…

 

A cet égard, le traducteur précise combien « le lecteur moderne pourra être étonn&eacu