Inédit depuis 1709, ce témoignage livre en détail la vie des Mexicains de l’époque, comme le roi d’Espagne Philippe V en avait donné mission à l’auteur. Après plus d’un an en Nouvelle Espagne, il en rapporta un document précis et documenté, dans une langue savoureuse… Ce tome est conforme à l’ambition de la collection Magellane ( cf. l’entretien de l’éditeur, lien supra ) de montrer « un monde encore vierge où la pluralité des cultures, peuples, langues et diversité biologique sont à leur apogée. Le saccage de la planète commença à cette époque ». La Lettre au Roi annonce d’entrée le dépaysement, d’abord linguistique car le texte date de 1709, puis géographique et historique sur le mode de vie dans le Nouveau Monde au début du XVIIIe siècle. Jean de Monségur, capitaine de vaisseau de la Marine Royale, le précise à l’intention du roi : « et quoique mon métier ne soit pas celui de bien écrire, je n’ai pas laissé de donner avec mémoire l’intelligence, l’ordre, la fierté et la précision qu’il m’a été possible avec toute sorte de fidélité (p.29) ». Il ne pouvait soupçonner combien cette ‘maladresse’ dont il s’excuse formerait trois siècles plus tard un grand attrait de son texte. En effet, la plupart des écrits de cette époque sont de gens dont le métier justement était « de bien écrire ». Débarrassé de l’affectation propre au Grand Siècle, le document gagne en fraîcheur et en sincérité. Des années plus tard, déçu du peu d’usage qu’on en fit, Monségur tenta de le faire éditer, sans succès, autorisant M. Charles Philippe à qui il l’avait adressé de le faire réécrire si nécessaire, en revenant sur son style prétendument gauche : « on convient premièrement que la vérité est que l’auteur des mémoires n’est pas d’une profession ni d’une capacité à savoir l’art de bien écrire […il trouve] peu d’élégance dans ses écrits, et la phrase et l’orthographe mauvais (p.332) »… Vocabulaire et Corne d’Abondance A l’authenticité du style, ajoutons toute la saveur du vocabulaire, dont certains mots ont depuis évolué ou disparu : ainsi des Indiens « subjugués » ( = conquis ) par les Espagnols, de l’expression « filer et moudre le minerai (p.122) », du prix exorbitant du « vif-argent » ( = le mercure ) indispensable à la séparation des métaux du minerai d’or, « sans compter un régal ( pot-de-vin ) particulier de 200 écus que le mineur est souvent obligé de donner suivant la qualité du vif-argent dont il a besoin (p.114) ». Et plusieurs chapitres donnent lieu à des énumérations précises et pittoresques, à l’instar de leur intitulé : • « De la cochenille et de l’indigo qui se recueillent en la Nouvelle Espagne et leur histoire naturelle » ; • « Des marchandises et des fruits de l’Europe qui ont le plus de consommation dans la nouvelle Espagne » ; • « Instruction particulière, en quinze articles, de l’assortiment des cargaisons qui se font de l’Europe pour le Mexique, qui explique toutes les sortes de denrées et des marchandises qui y ont de la consommation comme aussi les préjudices que celles qui y viennent de la Chine et des Indes orientales causent à celles qu’on y porte d’Europe » ; • « Raison (liste) des prix en gros qu’avaient, dans la ville de Mexique, les mois de septembre et octobre 1707 les merceries suivantes » ; « Raison des prix en gros qu’avaient dans la ville de Mexique les drogues de médecine qui suivent, en 1707 » ; • et le chapitre XXXV, « Des provinces de la Nouvelle Espagne les plus éloignées de la ville de Mexique, comme Guatemala, le Nouveau Mexique, Sonora, Sinaloa, Quivira, les Piments et le Parral ou Nouvelle-Biscaye et des terres voisines qui ne sont pas encore découvertes… Ces énumérations de produits n’occupent qu’une place limitée du livre, qui donne la part belle au quotidien dans toute sa diversité : comment vit-on à Mexico et où les gens habitent-ils, comment se nourrissent-ils et se déplacent-ils, leurs problèmes et loisirs, leurs craintes et joies, leurs préférences et habits, etc. A la rubrique Rubans d’une de ces listes, on apprend déjà la concurrence depuis la Chine : « ceux de France sont plus beaux que ceux de Naples, de Gênes, de Turin. On en fait aussi à Séville, à Cordoue, à Tolède et Málaga et à Grenade, mais ils n’approchent pas de ceux de France, aussi sont-ils moins chers. Il en vient aussi une très grande quantité de Chine et quoique leur qualité soit beaucoup au-dessous des moindres de l’Europe, ils en empêchent néanmoins le débit parce qu’ils se donnent à meilleur marché ». Et juste après, sur les Pannes : « il faut qu’elles soient des plus vives et des plus belles couleurs […] Il en vient beaucoup de la Chine et quoiqu’elles ne soient pas si belles ni si bonnes que celles d’Europe (p.188) ». Les « camelots » ? J’ignore ce qu’ils sont n’étant pas mercière mais « les plus beaux camelots sont ceux de Smyrne de Hollande. Ils doivent être noirs, musc clair et obscurs (p.193) ». Et s’agissant de commerce et d’étoffe, on peut penser que les camelots opérant sur les boulevards à Paris, vantant justement leur camelote, sont les dignes descendants de ceux du XVIIIe siècle : « les écarlatines d’Angleterre et de Hollande sont fort estimées […] Les sempiternes ont un débit extraordinaire au Mexique », où on confectionne aussi des étoffes appelées anacostes « que des blanches et des noires », de même que des lanilles ; les étamines viennent d’Angleterre, les lamparilles doivent être couleur musc : « il en est de même des étoffes appelées picotes (p.192) ». Il se fait au Mexique une grande consommation d’étoffes, de rubans et de dentelle, sans doute pour satisfaire les « inclinations générales des femmes et des filles », dont le chapitre IX brosse un tableau intéressant : « elles aiment en général jusqu’à l’excès le faste, les modes et les ajustements qu’on appelle ‘galas’, ce qui fait qu’on les voit ornées jusqu’à la magnificence et chargées de perles et de pierres précieuses. Elles ne font pas un grand mystère d’être libres sur la galanterie. E