Souvenirs de ce Jésuite parti évangéliser les esclaves africains de l’île de Cayenne, et surtout les indigènes du fleuve Sinnamary au nord-ouest : un témoignage intéressant des coutumes et anecdotes de cette région à la fin du XVIIe siècle, avec une nombreuse iconographie d’époque. L’ouvrage rassemble plusieurs relations de voyages effectués en cette partie nord de l’Amazonie, étalés de 1684-1691. Outre la Sinnamary, ces récits donnent parfois une description fort détaillée des voyages, et des missions chrétiennes selon le cas, par les îles Canaries et les Antilles, ces dernières faisant déjà l’objet d’âpres convoitises et conflits armés entre Anglais et Français. Quelques allusions sont faites aussi à la colonie hollandaise du Suriname. L’introduction précise l’environnement historique en cette fin de XVIIe siècle, ainsi que l’impact négligeable semble-t-il du travail d’évangélisation de Jean de la Mousse. Même son dictionnaire et sa grammaire du galibi ( la langue commune entre les peuples de la région ) qu’il dit avoir rédigés n’ont jamais été retrouvés… Les extraits suivants donneront un meilleur aperçu de ce Journal… Sens de l’Observation L’auteur fut assez bon observateur, des individus comme de leurs coutumes, ainsi que de la faune locale : quelques passages sont par exemple consacrés aux scorpions ou aux tortues de mer qui viennent pondre sur le sable. Il sut rendre justice aux Amérindiens lorsque leur attitude lui semblait dignes d’éloges : « je dirai une chose que j’ai admirée aux Indiens, qui est que jamais ils ne contestent et ne disputent ensemble, car quand ils sont d’un autre sentiment ils disent simplement leurs raisons, et s’ils voient que l’on leur dit des choses de contraire ils se taisent incontinent et ne font aucun effort pour tirer dans leur sentiment ceux à qui ils parlent. J’ai pareillement admiré souvent leur patience à ne rien dire ni reprocher (p.47) ». Sauf lorsqu’il y a rupture de la réciprocité : leur générosité proverbiale, adaptation sociale autant que garantie sur l’avenir, ne devait pas être unilatérale et cela se comprend : « rien ne leur rebute plus que de leur refuser surtout les choses qui sont pour manger, et un missionnaire passerait dans leur esprit pour un vilain et pour un gourmand : ‘Ne te donnons-nous pas, disent-ils, de tout ce que nous avons, pourquoi n’en fais-tu pas de même ?’ (p.85) ». C’est que Jean de la Mousse, de son propre aveu, cachait parfois ses victuailles pour ne pas attiser les appétits et de devoir ensuite partager. Et comme nombre de ses congénères, lui de constitution assez fragile si on en croit le nombre de références à sa faible santé, était surtout intéressé par le nombre de baptisés et de leur observation du catéchisme qu’il inculquait. Le texte montre que beaucoup d’Amérindiens acceptaient ses offices plus volontiers lorsqu’ils étaient malades, ou mourants. L’exemple suivant, poignant du reste, montre aussi comment il baptisait à tour de bras dès que l’occasion se présentait : « le soir j’allai voir un carbet d’Indiens qui est au voisinage, où je baptisai un enfant en danger. Je disposai aussi au baptême et à la mort une vieille femme que j’avais ci-devant instruite. Elle avait tout le dos décharné de je ne sais quelle maladie. Cette pauvre femme qui savait l’aversion extrême qu’ont les Indiens des mauvaises odeurs, me demandait toujours si je n’étais point incommodé d’être auprès d’elle. ‘Je suis morte, me disait-elle, ne vois-tu pas que la pourriture me fait tomber par pièces ?’ En effet, elle mourut trois ou quatre jours après avoir perçu le baptême ? Je baptisai là, pareillement, un Indien qui se languissait depuis longtemps, ce que je fis non pas qu’il fut guère plus malade qu’à l’ordinaire, mais à cause que c’était à l’entrée des pluies, pendant lesquelles le canton où il demeure est quasi impraticable (p.203) »… Au chapitre des anecdotes, notons ce parallèle de forme avec les amphores de la Grèce ancienne, pour exactement la même fonction : « tous leurs pots sont un peu pointus pour s’enfoncer dans le sable, ou pour se poser sur trois pierres qui servent de foyer (p.53) ». Enfin, pour qui n’a pas quelque rudiments d’astronomie, toute éclipse est un événement marquant, voire inquiétant si des rites n’existent pas à cet effet : « sur le minuit, j’entendis un grand bruit ; je me levais et vis tous les Indiens en mouvement, les uns jouaient du tambour, d’autres tiraient des flèches en l’air, et d’autres encore coupaient des herbes et les jetaient. Je demandais le sujet de ce tintamarre au milieu de la nuit, et l’on me dit que la lune était morte, ou plutôt éclipsée, sans que l’on pût rendre aucune raison sinon que c’était la coutume des Indiens de faire ainsi quand la lune est éclipsée. Il y eut même des Indiens qui allèrent à des carbets éloignés d’eux pour faire cette cérémonie avec plus de pompe (pp.124-125) »… Sur les choses de la Vie Comme cela a été décrit par quantités de missionnaires, les Amérindiens souvent n’épousaient les commandements enseignés qu’en échange de quelque avantage, matériel le plus souvent. De là le pouvoir des missionnaires mais aussi les relâchements du catéchisme amérindien en leur absence. L’Amérindien, en dépit de son allégeance, conservait le sens des réalités quelque fût le pouvoir des Européens : « les Indiens me font quelquefois une autre question qui m’embarrasse davantage, me demandant comment n’ayant point de femmes, les Mon père, comme ils appellent les jésuites, se multiplient (p.103) ». Et cela n’était pas que l’apanage des hommes, qui veillaient à ne pas indisposer leur « mon père » : dans ces contrées aussi, les femmes étaient plus naturelles et sans les préjugés étriqués de la bienséance occidentale : « je ne puis cependant pas désavouer quand, dans leurs discours, il se mêle quelques fois des choses dont la pudeur française serait blessée, ce qui leur arrive cependant rarement. Je me persuade qu’ils ne mettent de distinction qu’entre les choses, et point entre les paroles, et j’ai vu des petites filles fort sages et fort réservées se servir des mêmes paroles. Je ne pus pas m’empêcher de dire à une femme qui avait dit des mots un peu trop familiers que les femmes f