Déguisé en marchand musulman, ce jésuite parcourut l’Asie centrale à la recherche du Grand Cathay, contrée mythique réputée chrétienne : l’Asie vivait une exceptionnelle période d’ouverture aux civilisations et religions étrangères, à l’heure de l’Inquisition européenne. Si l’itinéraire et les dates du voyage du jésuite portugais Bento de Gois sont connus ( le livre comporte d’ailleurs une carte dépliante de son parcours ), il est plus difficile de cerner le personnage et les détails de son périple qui nous sont parvenus surtout à travers le témoignage de ses coreligionnaires, telle la Description de la Chine de Matteo Ricci. Son patronyme est même incertain, tandis que les sources et les époques diffèrent sur sa personnalité. L’auteur a comparé ces sources et les a reliées aux réalités historiques connues : l’ouvrage a ainsi deux parties a peu près égales, Documents et Dossier Historique, avec de nombreuses notes en fin de volume. Après tous ces siècles, comme le souligne l’auteur, des distorsions existent entre les récits selon les buts qu’ils poursuivent : ainsi « dans les récits destinés à être publiés ( comme celui de Matteo Ricci ) il n’y avait pas de place pour une description claire de ces audaces missionnaires. Elles y sont plus implicites qu’explicites. Marchand et prédicateur au Xinjiang et au Gansu, Bento de Gois, alias Abdallah Isâwi, n’a jamais renié sa foi chrétienne (p.15) ». Ces audaces missionnaires sont dans deux lettres de Bento de Gois écrites peu après son départ d’Agra : « me voici grand seigneur du Royaume de la Mecque ! […] j’ai également pris congé de la soutane que je portais pour revêtir le costume du pays […] je ne sais comment décrire à Votre Paternité le nouveau pèlerin de Jésus Christ, qu’on n’a jamais vu dans d’aussi étranges habits […] Je porte une longue barbe qui me descend jusqu’à la poitrine et les cheveux longs, conformément à la coutume du pays (p.57) ». A Lahore, il « négocie sous la livrée d’un marchand, afin de mieux dissimuler ». Etrange pèlerin en effet, mais son travestissement musulman était nécessaire dans ces contrées qu’il traversait, décidé autant par ses supérieurs ( Jerônimo Javier ) que par le Grand Mogol lui-même ( Akbar ), son protecteur sur la Route de la Soie. Pour subsister ces quatre années durant, Abdallah Isawi, richement doté par le roi Akbar, fit commerce de marchandises indiennes chargées sur des chameaux et des chevaux, marchandises qu’il échangea plus tard contre du jade, très apprécié en Chine. Convaincu qu’il rencontrerait des chrétiens qu’il devrait comprendre et conforter dans leur foi « au cas où leur ferait défaut une part de la vérité de la foi catholique (p.75) », il emporta avec ses autres documents secrets « le mémoire du Seigneur archevêque de Goa sur les schismes qui doivent exister chez ces chrétiens » et « un papier où sont inscrites toutes les fêtes mobiles jusqu’à l’année 1612 […] tout cela, je le porte à la façon d’un reliquaire des maures, placé sous le turban (p.60) ». Sa relation de voyage la plus complète, et aussi la plus épique, est celle de son contemporain Matteo Ricci, utilisée ici. Par exemple, cette description à Lahore de comment se forment les compagnies de marchands vers Kachgar : « ils voyagent tous groupés, en compagnie, afin de se porter aide les uns aux autres et se protéger des brigands et d’autres méfaits, à quatre ou cinq cents personnes ». Les étapes se comptaient en mois, et les attentes souvent à vingt jours pour faire passer marchandises et bêtes en radeaux sur un fleuve. Le départ des caravanes était parfois annuel, telle celle vers Beijing. Les environs de Kaboul étant exposé aux brigands, « le souverain de ce pays envoya quatre cent soldats monter la garde autour de la compagnie de marchands » ; ailleurs, le gros de la caravane progressait au pied de la montagne, et les marchands « tout au sommet, avec des arcs et des flèches pour tenir en respect des brigands qui ont l’habitude de s’y embusquer pour nuire gravement aux passants en leur jetant d’en haut des pierres et des rocs ». Le Grand Cathay est la Chine Après mille péripéties, vols, embuscades, tentatives d’assassinat, et toujours accompagné de son fidèle compagnon de voyage, l’Arménien Isaac, frère Bento traversa la province actuelle du Xinjiang, puis les déserts de Taklamakan et de Gobi avant d’arriver au pied de la Grande Muraille qu’il franchit avant de se rendre à Suzhou : « là, en entendant parler de Pékin et d’autres noms de la Chine, ils n’eurent plus aucun doute : le Grand Cathay et la Grande Chine sont un seul et même royaume (p.95) ». La constatation ne surprit ni Matteo Ricci ni les missionnaires de Pékin, qui n’avaient jamais cru au Grand Cathay chrétien comme ils en avaient averti les pères de la mission d’Agra : « malgré tout, ils eurent des doutes. En effet, ils avaient entendu des maures dire qu’au Cathay, bien des gens sont chrétiens, voire tout le monde. Pourtant les pères de Chine disaient qu’il n’y en avait pas un seul et que jamais la Loi des chrétiens n’est parvenue jusque là (p.76) ». Il est vrai que premier christianisme parvint à l’ouest de la Chine cinq cent ans plus tôt, avec les Tartares, chez les Tokhariens, dont il restait bien dans les provinces du Shanxi et du Henan quelques survivants « qui vivaient selon leur Loi il y a encore plus ou moins cinquante ans (p.152) ». Le père Ricci l’évoqua dans une lettre de 1607, précisant toutefois qu’ « ils s’étaient tous dispersés et avaient abandonné la Loi. Ils ne veulent pas à présent avouer qu’ils sont leurs descendants » (des tartares). Un juif du Henan témoignait à la même époque pourtant de la survivance de ces « Adorateurs de la Croix » ; mais quand on lui demanda « pour quelle raison ces hommes vénéraient la Croix, il ne sut rien dire. Il disait que pas même ceux qui la vénéraient n’en savaient la cause, si ce n’est qu’ils traçaient du doigt une croix sur tout ce qu’ils mangeaient ou buvaient ». Il dit aussi « qu’en de nombreux endroits de la Chine, il est coutume de tracer une croix noire sur le front des petits enfants pour les protéger du malheur (p.147) », usage qu’une note donne encore présente au XXe siècle dans certaines régions de Chine. Après trois ans d&rsqu