Démâté par une tempête, un navire dériva du Japon aux Aléoutiennes. Le capitaine Kodayu fut ensuite emmené à travers la Sibérie, jusqu’à la cour des tsars. Le long interrogatoire mené à son retour consigna ce périple de onze ans, avec une étude encyclopédique du monde russe. L’introduction précise l’environnement historique de cet étonnant voyage ( 1782 – 1792 ) et les circonstances dans lesquelles le témoignage du capitaine Daikokuya Kodayu fut recueilli par les autorités du shogunat, en particulier par Katsuragawa Hoshu, médecin de cour versé dans les sciences occidentales ( rangaku ) apportées par les Hollandais autorisés à commercer sur le comptoir de Dejima. La qualité des détails rapportés dénotent autant une solide écoute de la part du second que d’un grand sens de l’observation chez le premier, homme éduqué et curieux tout commerçant qu’il fut. A noter que son périple eut lieu à peine quelques décennies avant celui non moins atypique de John Dundas Cochrane, lequel traversa la Russie dans l’autre sens, à pied. La présente édition du Hokusa bunryaku – Daikokuya Kodayu Roshia horyuki ( litt. Notules sur une dérive dans les mers du Nord – Journal du voyage en Russie de Daikokuya Kodayu ) est la première traduction en français. Outre l’introduction, l’ouvrage comporte deux parties : 1. la relation proprement dite qui, en dépit de sa qualité, est surtout un résumé condensé, sans le foisonnement de tous les détails personnels d’un voyage aussi long, dans le temps comme dans l’espace ; 2. l’exposé quasiment encyclopédique de ce que le Japon savait de la Russie, centré sur les précisions apportées par ce témoin de première main que fut Daikokuya Kodayu ; le manuscrit alors réalisé à usage purement interne du gouvernement nippon comporte d’abondantes illustrations en N&B d’objets et vêtements russes (pp. 354-376) ; certaines auraient néanmoins gagné à être reproduites à plus grande échelle. Le Voyage de Daikokuya Kodayu Après la tempête, le calvaire en mer dura deux bons mois, avant que l’équipage japonais n’aperçoive une île, Amchitka, déjà possession de l’empire russe. S’ensuivent plusieurs mois de vie aux côtés des Aléoutiens et des Russes, eux-mêmes tributaires de l’approvisionnement annuel par navire, dont le dernier fit naufrage lui aussi. Après la traversée maritime vers le Kamchatka, puis celle par monts et par vaux de ladite péninsule, celle de la Mer d’Okhotsk ne semble qu’un court interlude à l’aventure de la traversée du continent eurasien, jusqu’à la lointaine Saint-Petersbourg, dont voici un extrait : « comme on était à l’extrême nord-est du pays, il faisait très froid, et quand le froid était extrême, les gens qui allaient dehors se vêtaient de fourrures, portaient capuches en fourrure, enfonçaient leurs deux mains dans des sortes de sacs sans fond en peau de renard dont ils se protégeaient la face du nez jusqu’au bas du visage en marchant. Sinon, le froid nécrosait les vaisseaux sanguins, l’homme était susceptible de perdre nez et oreilles, et les pommettes des joues s’ulcéraient comme si elles avaient été trouées. Aux 6e, 7e, et 8e mois, les derniers reflets du soleil s’attardent à l’horizon, la nuit est presque plus claire que le jours quand le temps est couvert. L’hiver, avec la réverbération de la neige, il fait si clair qu’on n’a pas besoin d’user de torches ou de quelque chose de ce genre, et les voyageurs voyagent de jour et de nuit ; la neige au sol gèle plus dur que pierre et métal (p.101) » A la Cour de Russie, Kodayu fut l’objet de toutes les attentions, et eut même droit à deux audiences avec Catherine II ( Yekatyerina Vtaraya ). Le japonais décrit ses relations avec les personnages de la ville, notamment son bienfaiteur, Erik Laxman, ainsi que quelques tendres allusions à ses aventures féminines. Voulant nouer de bonnes relations avec l’archipel nippon, la tsarine consentit à la longue au retour de Kodayu : de tout son équipage, il est un des deux seuls membres à revoir le Japon ; la majorité était décédée en cours de route : « l’impératrice, ayant manifesté le désir de connaître les mœurs et coutumes des sauvages des îles, ordonna souvent de lui en amener, mais ceux-ci, faute de s’adapter aux conditions géographiques, mouraient en cours de route, avant d’arriver à la capitale (p.328) ». Deux autres devaient rester à Irkoutsk comment enseignants, où ‘l’école de Japonais’ de l’empire russe avait depuis peu été transférée depuis Saint-Petersbourg. C’est aussi un des rares moments d’émotion consignés par le compilateur : « ‘la douleur des adieux n’a jamais de fin, ne laissons pas nos cœurs s’attendrir’. Et, selon la coutume du pays, Kôdayû s’approcha soudain pour lécher la bouche de Shôzô puis s’en fut résolument. Avec sa jambe qui ne répondait pas, Shôzô se leva mais tomba en roulant par terre, poussa un hurlement et se mit à pleurer et à crier comme un petit enfant tordu de douleur. Encore un moment après, sur le chemin, les cris de Shôzô résonnèrent dans les oreilles de Kôdayû, et il lui sembla qu’on lui entaillait les entrailles. Il n’est déjà rien de plus triste, en un même pays, que de se séparer quand on est en vie, voire peu de temps ; alors, pareille tristesse se comprend d’autant mieux après qu’on a subi des épreuves durant des mois et des années et qu’on s’est promis de rester ensemble à la vie et à la mort, et encore à plus forte raison si l’on devient invalide et que les compagnons partent de leur côté en vous laissant demeurer à jamais en terre étrangère (pp.119-120) » L’Etude sur le Monde Russe Avec le retour des deux Japonais, le Japon ne perdit par l’occasion d’approfondir sa connaissance de l’immense empire voisin, d’autant que Kodayu, curieux de tout, avait mémorisé quantité de détails. Les informations colligées par Hosh_ sont classées thématiquement, dans un évident effort de systématisation et d’exactitude dans les détails : grands faits militaires et système pénitentiaire, calendrier, impôts, poids et mesures, frappe et circulation des pièces de monnaie, écoles et hôpitaux, moyens de locomotion et fosses à purin, mœurs et loisirs, théâtres et mai