Naufrage au large du Bengale : 32 rescapés échoués sur une île déserte connaissent la faim, la scission de l’équipage et les querelles pour un bœuf en décomposition… Secourus, ils sont enrôlés dans l’armée du Grand Moghol pour guerroyer contre le royaume d’Assam. Cette relation, méconnue même aux Pays-Bas, comporte deux grandes parties : la première conte le naufrage par temps d’orage et la perdition des rescapés sur un des innombrables îles au large du Bengale, alors que la seconde narre leur expérience du pays et des atrocités des guerres intestines. Les nombreuses reproductions de gravures sont concentrées en début d’ouvrage. Le Naufrage La géographie particulière du sud du Bengale n’arrangea pas le sort des naufragés, effaçant toute trace de solidarité. En attisant l’individualisme et les vols réciproques, chacun sembla ainsi devenir un loup pour l’autre, rappelant le même cannibalisme rencontré dans le récit publié en 1646 du naufrage du Bontekoe , auquel l’aide-coq Harmen Lubbertsz avait déjà participé. Les extraits suivants donne quelque idée de l’épreuve, sans même parler de l’attaque surprise de pêcheurs Bengalis : « La faim nous pressa de sorte que nous crûmes ne pouvoir mieux faire que de chercher le corps du pasteur, que nous pensions infailliblement mort. Nous eûmes un chagrin sensible de l’avoir cherché en vain, car, après avoir mangé impunément deux serpents sans en avoir été malades, nous ne pouvions croire que la chair humaine pût nous incommoder, d’autant plus qu’on dit qu’elle est très savoureuse. L’envie de manger quelque chose de plus solide que des feuilles d’arbres d’affirmant davantage, il fut proposé de tuer un des mousses de l’équipage, mais grâce à Dieu on n’insista pas, et ce fut un bonheur pour tous les autres, car si l’on avait commencé, il est certain qu’on eût continué, et qu’on se fût entretués par surprise ou par violence. Quoique la chose n’eût pas réussi, nous ne laissâmes pas de nous défier les uns des autres, et depuis ce temps-là, on ne dormit plus que d’un œil tremblant, chacun craignant que les autres ne conspirassent contre lui et ne prissent pour l’égorger le temps de son repos (p.74) ». « Après avoir divisé notre larcin en portions égales, et que chacun eut pris la sienne, nous jugeâmes à propos de veiller tour à tour contre les surprises des ennemis, ne serait-ce que ceux à qui nous avions volé une partie de leur pitance. Et pour nous lier plus fortement les uns les autres, nous jurâmes de faire les derniers efforts pour nous entraider en cas d’attaque. Nous demandâmes ensuite ce qu’était devenue la femme qu’on leur avait laissée à leur garde, et nous apprîmes que peu après notre départ elle s’était sauvée si subtilement qu’on n’avait pas pu la retrouver. Nous souhaitâmes alors ardemment son retour et résolûmes unanimement de l’occire et de la manger, quelque décharnée qu’elle fût (p.107) » « Nous les surprîmes à la tâche, et ils avaient retourné la carcasse pour retirer la peau putréfiée et ne laisser que les os. A notre question s’ils voulaient aussi la peau putréfiée, ils répliquèrent que s’ils ne l’avaient pas voulue, ils se seraient épargnés le travail. Nous leur objectâmes que nous étions huit, et que nous allions repartir pour hasarder nos vies sur le radeau aussi bien pour eux que pour nous et ne pourrions rien trouver en mer. Ces raisons furent méprisées ; ils firent semblant de ne pas nous entendre, et nos prières furent vaines. Leur comportement nous échauffa la bile. Chacun de nous tira son couteau et nous leur ôtâmes leur proie. Les autres, qui étaient inférieurs en nombre, se regardèrent quelque temps comme pour s’animer l’un l’autre. Ils nous demandèrent s’il était juste qu’ils eussent travaillé pour nous, et en disant cela ils levèrent l’un une hache, et l’autre un couteau pour nous frapper. De nôtre côté, nous nous mîmes en état de nous défendre, et cela qui avait la hache ayant juré qu’il fendrait la tête au premier qui approcherait, je lui dis que s’il était sage il y penserait plus d’une fois, et qu’il ferait mieux d’écouter la raison que de s’emporter de la sorte (pp.102-105) »… La Guerre Ce témoignage vaut aussi par sa description de la cour et de l’armée du Grand Moghol. Si les chiffres avancés semblent exagérés, le détail des émoluments des soldats selon leur nationalité semble exact, ainsi que le décompte de l’ampleur des atrocités de la guerre. Extraits : « Quand l’armée avançait, chaque jour de nombreuses personnes trouvaient la mort, écrasées par la foule, et quantité d’autres se perdaient à jamais tant l’armée était grande. On disait que cette troupe coûtait chaque mois plus de 50 tonnes d’or. En revanche, le nabab percevait de lourds impôts de sorte que les deux tiers de cette somme étaient payés chaque semaine grâce aux marchands et à toutes les prostituées qui accompagnaient l’armée. Il pouvait donc l’entretenir presque entièrement. Lorsque l’armée était en campagne, il n’y avait aucune activité possible ni rien à faire dans le pays, si bien que chacun était plus ou moins obligé de la suivre. Il n’y avait rien, dont les hommes avaient besoin, que l’on ne pouvait acheter (p.155) ». « Le roi d’Hajo, qui s’était longuement et noblement défendu, fut capturé et sauva sa vie. Dans ces contrées, on ne fait normalement pas de quartier et les vainqueurs massacrent les vaincus avec mille atrocités. Néanmoins on lui mit au cou un lourd carcan de fer auquel étaient fixées deux grosses chaînes reliées à ses deux jambes, et dans cet état on lui donna quatre valets pour son service. Le roi fait prisonnier, on indiqua ensuite au nabab les caves spécialement taillées dans le roc où étaient cachés ses trésors, d’où ils furent enlevés (p.156) ». « Mais lorsque, en cours de route, les soldats firent halte le soir pour cuire du riz, ils furent assaillis par les ennemis qui dans la furie de la surprise en égorgèrent la plupart. Ils réservèrent quelques chrétiens pour se divertir. Ils les attachèrent en leur plaçant quantité de bouchons de bouchons de paille mêlés de poud