La collection “Magellane” accueille des textes littéraires, historiques et ethnographiques pour amateurs et spécialistes
Edition du vendredi 17 mars 2000 Ours, insociable, Michel Chandeigne ? C’est ce qu’il avoue lui-même. Pourtant, il ouvre volontiers la porte de son antre, 10, rue Tournefort, dans le 5e arrondissement de Paris. Cette librairie portugaise, fondée en 1986, cache, dans l’arrière-boutique, un atelier de typographie. Chaque année, avec le poète Dominique Fourcade, il y “ fabrique ” encore, pour le plaisir, un ouvrage au plomb, à l’ancienne. Né en 1957 à Paris (“un accident”), Michel Chandeigne est d’origine bourguignonne. Ses études scientifiques le conduisent, dans le cadre de la coopération militaire, à Lisbonne, où il est nommé professeur de biologie. Il découvre alors la langue et éprouve un plaisir sensuel à marcher dans “le circuit labyrinthique de la vieille ville aménagée pour les gens et non pour les voitures”. A son retour, pris d’une “nostalgie terrible”, il s’installe en Bourgogne où, pendant un an, il fabrique une dizaine de livres avec “une presse et quelques caractères”. Il se rend au Brésil, traduit beaucoup (Fernando Pessoa, Antonio Ramos Rosa, Mario de Sa Carneiro entre autres) et dirige plusieurs numéros pour la revue Autrement, notamment Lisbonne, la nostalgie du futur, paru en 1988 et réédité en 1998 sous le titre Lisbonne, la cité atlantique. En 1992, il fonde avec Anne Lima les éditions Chandeigne et lance “Magellane”, la collection-phare de la maison qui accueille les récits de grands voyageurs, “connus ou inconnus, du XVe au XVIIIe siècle.”. L’ambition est de créér peu à peu une “collection de référence sur les voyages de découvertes, comme fut celle de Ramusio en Italie”. Il la propose à Calmann-Lévy, Arléa, Gallimard entre autres, mais se dit aujourd’hui soulagé de leur refus : “Ma force et ma nature, c’est de travailler seul. On peut exiger énormément de soi-même.”. Les titres les plus accessibles sont proposés, à moins de 60 francs, en “Magellane poche”. Une grande exigence de qualité préside à chaque ouvrage : viennent s’ajouter au texte (toujours proposé en version intégrale, avec un apparat critique très fourni) de nombreuses illustrations (cartes et autres documents d’époque) choisies avec soin. Quelque vingt-deux titres ont ainsi paru dans cette collection mais, avoue Michel Chandeigne, “il y a autant de livres en chantier. Chacun demande des années de recherche, des mois de fabrication”. Le dernier, Le Naufrage des Portugais sur les côtes de Saint-Jean-de-Luz & d’Arcachon (1627), raconte le plus grand naufrage de l’histoire de la marine portugaise à l’origine d’un “imbroglio diplomatique entre la France et le Portugal, qui impliqua le duc d’Epernon, Richelieu, Louis XIII, l’Eglise et les grandes familles du Médoc”. “Péninsules”, qui “réunit des textes inédits et des essais sur l’histoire des religions dans la péninsule Ibérique et ses projections outre-mer”, est dirigée par Anne Lima. Dans la série “Grand Format”, on trouvera notamment la très belle édition de La Frontière, de Pascal Quignard, et dans la “Lusitane” sont publiés, “selon les demandes que j’ai en librairie”, des ouvrages sur le monde lusophone. Avec leurs 70 titres au catalogue – diffusés et distribués par Les Belles Lettres – les éditions Chandeigne s’imposent aujourd’hui comme un modèle d’édition, dont l’activité s’inscrit dans la tradition d’éditeur-libraire-imprimeur telle qu’exercée au XVIIIe siècle.
Emilie Grangeray