Il peut paraître inconvenant de nos jours, de considérer la colonisation comme une forme de voyage. Pourtant, ce sont ces voyageurs-là, pérégrinant pour des motifs commerciaux religieux ou militaires, qui disposaient des moyens les plus vastes pour des expéditions qui étaient, le plus souvent, de véritables aventures. La nouvelle collection joliment intitulée, Magellane, qui paraît chez Michel Chandeigne, soigneusement illustrée et annotée, s’est justement fixée pour but de présenter les grands voyages de l’histoire dans le cadre de l’expansion européenne en Afrique, aux Amériques, en Asie, du quinzième au dix-septième siècle. Des grands textes le plus souvent oubliés, écrits par les acteurs et les survivants de ces voyages de découvertes et d’errances, et qui constituent de précieux documents sur l’histoire du monde et sur la rencontre, souvent saignante et déconcertante, des peuples. Des voyageurs qui ne font pas de littérature. Des aventuriers qui rendent compte de ce qu’ils découvrent et qui affrontent les prises d’otages, les bagnes, les massacres, contraints de renier leur foi ou de mourir pour elle sous d’effroyables et savantes tortures. Ainsi, les Portugais, qui furent les premiers Européens, en 1543, à atteindre le Japon, nous donnèrent les premières descriptions de " l’île grande de Cipango " dont Marco Polo avait entendu parler. Ils y avaient noué immédiatement des liens commerciaux, bientôt suivis par la mission jésuite de François Xavier. En 1597 commençaient les premières persécutions, qui allaient aboutir, un demi-siècle plus tard, à l’interdiction de toute présence étrangère. Le Traité de Luís Fróis sur les contradictions de mœurs entre Européens et Japonais, qui date de 1585, est une description comparative des mœurs japonaises et européennes présentée par un père jésuite qui résida pendant plus de trente ans dans l’archipel nippon. "La plupart des Européens sont de haute stature et bien bâtis ; les Japonais sont ordinairement plus petits que nous (…) Nous lavons les vêtements en les frottant à la main ; eux, en les foulant avec les pieds (…) En Europe, l’honneur et le bien suprême des femmes sont la pudeur et le cloître inviolé de leur pureté ; les femmes du Japon ne font aucun cas de la pureté virginale, et la perdre ne les déshonore pas ni ne les empêche de se marier." Etc. Un texte surprenant, presque oulipien, publié pour la première fois en Europe. L’autre titre, Esclave à Alger, nous fait revivre avec un extraordinaire brio le destin d’un militaire portugais qui, revenu de l’Inde en 1621, voit son bateau attaqué par des corsaires barbaresques au large de Lisbonne et est emmené à Alger, où il sera vendu comme esclave. Joao Carvalho Mascarenhas décrit Alger, ville grouillante où se mêlent Maures, Juifs, Turcs, renégats et esclaves chrétiens provenant de toutes les nations de l’Europe. Après une évasion manquée, il devient forçat et rame sur une galère algérienne. En 1626, racheté par un marchand pour 600 pataques, il regagna le Portugal, mettant fin à cette histoire de captif "sans ornements ni fioritures" puisque, nous dit l’auteur, "alors que nous avons chez nous tant de soldats, tant de lettrés, tant d’hommes graves et doctes, il ne s’en trouve aucun pour écrire en notre langue un ouvrage moderne à ce sujet. Ils préfèrent sans doute consacrer les subtilités de leur intelligence à des ouvrages de moindre importance" .
Nicole Zand