En 1591 Knivet embarqua avec Thomas Cavendish pour les mers du Sud. Comme à escient, jamais périple ne fut aussi contrarié et jamais héros ne connut tant de déboires : le mauvais sort s’acharna sans répit, capturé tour à tour par les Portugais et les Cannibales… Parallèlement à la narration, Anthony Knivet livra d’innombrables observations sur les rites et superstitions des Anthropophages, sur les colloques de singes hurleurs, sur la façon de s’emplumer le corps et sur les métaux précieux. Il conclut son témoignage par une série de descriptions sur les approches maritimes du Brésil. La traductrice, Ilda Mendes dos Santos, éclaire l’ouvrage par une passionnante introduction et un important appareil critique de notes instructives. L’ensemble constitue un excellent matériau pour la découverte du monde colonial à l’époque des premières explorations. Et outre l’introduction, le récit et les notes, cette édition inclut divers documents enrichissants. Deux cartes précisent ainsi les parcours respectifs de Knivet et de ses persécuteurs ( Portugais et Cannibales ) ; l’annexe comporte six témoignages de contemporains du voyageur : le navigateur Thomas Turne décrit la faune et de la flore du Brésil, le jésuite Fernâo Cardim expose les missions autour de Rio, le commerçant Francisco Soares évoque la figure du gouverneur Salvador Correia de Sà, l’explorateur Wilhelm Glimmer mentionne la recherche de l’or, le gentilhomme et architecte florentin Baccio di Filicaya conte ses exploits militaires, et Manuel Juan de Morales dénonce les manières peu aimables des habitants de São Paulo. Ces six documents favorisent les recoupement possibles avec le récit de Knivet et permettent de mieux le situer parmi les acteurs de ce moment charnière de l’Histoire. Le Périple d’Anthony la Poisse En 1591, Knivet s’embarqua dans l’équipage de Thomas Cavendish, direction les mers du Sud. La navigation fut contrariée dès les premiers jours : calme plat, scorbut, disputes à bord… Les cinq vaisseaux parvinrent néanmoins à l’Ile Grande, base depuis laquelles nos corsaires rejoignirent la ville de Santos, dont ils s’emparèrent deux mois durant. Parvenant ensuite jusqu’au Détroit de Magellan, ils ne souffrirent que déboires, froid et vents contraires. Au retour par Santos, de nombreux matelots se firent massacrer par les soldats portugais, mais Knivet se fit constituer prisonnier. Le gouverneur de Rio de Janeiro où il fut conduit le confia alors à un aimable propriétaire terrien, lequel lui donna un troupeau de porcs à surveiller… Mais ce répit ne dura qu’un trimestre, Knivet étant affecté pour trois nouveaux mois aux rudes tâches de manutention dans un moulin à sucre. Rejetant cet esclavage, il se dissimula sept mois dans une profonde grotte, se nourrissant de poissons et de racines. Repris, le voilà qui dut creuser la terre dans un champ de navets, avant de recommencer la corvée du sucre. Enfin, le fils du gouverneur, Martim de Sá, le prit à son service pour deux ans, avant de l’envoyer en mission auprès d’un chef sauvage d’ethnie Puri. Là, les villageois combattant leurs voisins auraient voulu occire l’étranger, lequel put s’en retourner à Rio ; mais là, en tentant de rejoindre un vaisseau anglais, il fut appréhendé et condamné à pendaison. Heureusement, les Pères Jésuites intercédant en sa faveur, il put réintégrer son moulin à sucre, duquel il déserta à nouveau pour retrouver le chef du village qui jadis l’avait accueilli et protégé. Au bout de neuf mois néanmoins, il fut repris par Martim de Sá qui lui intima une nouvelle mission en terre sauvage, suite à quoi il le renvoya à Rio comme mercenaire dans une guerre entre cannibales… A l’issue de cette campagne, Knivet recruta à son propre compte douze soldats portugais, et repartit en expédition vers les mers du Sud, à pied. Sur leur chemin, une montagne… qu’ils franchirent sur un radeau flottant sur une rivière souterraine ! A la sortie du tunnel, des cannibales se jetèrent sur eux et dévorèrent les douze Portugais, mais en épargnent Knivet qu’ils prirent pour un Français ( près d’une demi-siècle plus tôt, la même méprise avait épargné l’Allemand Hans Staden tombé aux mains des Indiens Tupi ). Il devint leur guide et les conduisit vers la mer où, une fois de plus, Martim de Sá survint et le renvoya à la corvée de sucre, entre autres tâches effrayantes ou humiliantes… C’en était vraiment trop pour le pauvre Knivet : il embarqua en secret pour l’Angola, mais transborda sur un navire qui remonta le fleuve Kwanza. Notre fuyard s’étant terré à Massangano, ses maîtres brésiliens obtinrent son rapatriement en lui souhaitant une bienvenue ironique sur leurs terres. Les avanies suivirent jusqu’en 1599, lorsque le père de Martim, le vieux Salvador Correia de Sá, prit sa retraite et gagna Lisbonne avec Knivet. De là, non sans difficulté, ce dernier parvint en Angleterre où son récit fut soigneusement recueilli par Sir Robert Cecil, secrétaire de sa majesté Elisabeth I, assurant ainsi la postérité de ce périple hors normes…
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