Mémoires de prison
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En 1936, Graciliano Ramos est directeur de l'Instruction publique de l'État d'Alagoas, dans le Nordeste brésilien. C'est aussi un écrivain connu. Il vient de publier São Bernardo, il achève Angústia (Angoisse). Ce qu'il écrit, ce qu'il pense composent de lui la figure d'un homme libre. Il n'en faut pas davantage alors pour devenir suspect : le climat politique est tendu, Getúlio Vargas prépare le coup d'État qui installera la dictature de l'Estado Novo. Les prisons se remplissent. Les communistes sont visés, mais aussi tout ce qui peut faire obstacle aux desseins de l'homme fort du Brésil : la gauche, les libéraux, les intellectuels, les étrangers.
Un jour de mars de cette année agitée, Graciliano Ramos est arrêté, sans motif, sans explication. Pendant onze mois ce seront la même opacité, la même angoissante absurdité. Le fond de l'horreur est atteint au bagne d'Ilha Grande, colonie pénitentiaire sous les tropiques. Là sont parqués «politiques» et prisonniers de droit commun. Lorsqu'il quitte la colonie, Graciliano Ramos, à quarante-quatre ans, est un vieillard épuisé.
Dix ans plus tard, il entreprend la rédaction de ses Mémoires de prison. Un projet longuement médité, longtemps ajourné. Il y consacrera les dernières années de sa vie. Livre de la mémoire, cet ouvrage ne sera pas un pamphlet politique. Graciliano Ramos se garde aussi de tout exhibitionnisme. Ce qu'il veut, c'est communiquer le plus aigu des sensations, des situations, des sentiments. Cette recherche au fond de soi et des autres était indissociable d'une réflexion sur la véracité du récit : une entreprise de rigueur.
«Les prisons sont notre miroir», écrivait à Cannes, il y a quelques années, J.M.G. Le Clézio à propos du beau film de Nelson Pereira dos Santos adapté de ces Mémoires. Ces mots valent pour ce chef-d'œuvre de la littérature brésilienne.
Le commentaire de Michel Riaudel :
« Quand Graciliano Ramos (1892-1953) est arrêté le 3 mars 1936, chez lui, il vient d’être démis de son poste de directeur de l’Instruction publique de l’Alagoas, un petit État du Nordeste. C’est un romancier connu, qui a publié Caetés (1933) et São Bernardo (1934), il met la dernière main au manuscrit d’Angústia (Angoisse, 1936). Avec Jorge Amado, Rachel de Queiroz et José Lins do Rego notamment, il compte parmi les acteurs de premier plan du roman nordestin des années trente, alors en plein essor.
« Pourquoi l’arrête-t-on ? Quel sort l’attend ? Rien ne lui sera signifié, jamais, même après sa libération en janvier 1937. Des soupçons de communisme – mais il n’adhère effectivement au PCB qu’en août 1945 – suffisent sans doute pour les sbires de la dictature de Getúlio Vargas. Issu du Coup d’État de 1930, le régime a amorcé son tournant fascisant, l’Estado Novo (l’État Nouveau, 1937), et musèle férocement son opposition de gauche. Pendant onze mois, l’écrivain va être plusieurs fois transféré, connaître les soutes, les bas-fonds, découvrir le monde de l’arbitraire, des turpitudes et de l’autorité invisible. L’humanité, avec ses classes, ses castes, les militants, les « droit commun », les humbles, les privilégiés d’hier, les protégés d’aujourd’hui. L’humanité dans toutes ses nuances, viles, solidaires, avec ses petits héroïsmes ; et l’inhumanité. Il en trace à la pointe sèche d’émouvants et saisissants portraits.