Le sucre et la faim. Enquête dans les régions sucrières du nord-est brésilien

Auteur :
Editeur : Minuit
Nombre de pages : 96
Date de parution : 2003
Langue : français
ISBN : 9782707303066
Prix :

10,00

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Description :

Première édition en 1980.

Une amnistie vient d’être promulguée au Brésil et l’ex-gouverneur de l’État de Pernambouc, Miguel Arraes, rentre à Récife en septembre 1979 après quinze ans d’exil. À cette occasion, Robert Linhart part enquêter dans les régions sucrières du Nord-Est brésilien : comment les ouvriers agricoles ont-ils vécu ces années de dictature ? Où en est le mouvement paysan ? Exode des paysans vers les bidonvilles. Progression de la faim avec la monoculture sucrière. Travail des enfants.
Vingt-neuf ans après sa parution, ce livre reste un témoignage accablant sur la situation de l’époque et par bien des aspects, sur celle d’aujourd’hui.
Mourir de faim avec tous les documents du monde, contrat de travail assurances, fiches de paye. Mourir de faim pour le « modèle exportateur » et les rentrées de devises.

À mesure que je recueillais témoignages et données, la faim m’apparaissait avec une terrible netteté comme la matière et le produit d’un dispositif compliqué jusqu’au raffinement. La faim n’était pas une simple absence spectaculaire, presque accidentelle, d’aliments disponibles. Ce n’était pas une faim simple, une faim primitive. C’était une faim élaborée, une faim perfectionnée, une faim en plein essor, en un mot, une faim moderne. Je la voyais progresser par vagues, appelées plans économiques, projets de développement, pôle industriels, mesures d’incitation à l’investissement, mécanisation et modernisation de l’agriculture. Il fallait beaucoup de travail pour produire cette faim-là. De fait, un grand nombre de gens y travaillaient d’arrache-pied. On s’y affairait dans des buildings, des bureaux, des palais et toutes sortes de postes de commandement et de contrôle. Cette faim bourdonnait d’ordres d’achat passés par télex, de lignes de crédit en dollars, marks, francs, yens, d’opérations fiévreuses sur les commodities markets (les Bourses de matières premières, où les spéculateurs vendent, revendent, achètent, rachètent dix, quinze, trente fois le même lot de sucre, de cacao ou de coton avant même qu’il ne soit récolté, faisant chuter ou s’envoler les cours, toujours de façon à concentrer les bénéfices et à déposséder le petit producteur direct), de transactions foncières, d’anticipations, d’astuces et de bons coups. On n’en avait jamais fini d’entrer dans le détail de la production de cette faim. Des commerçants, des banquiers, des armateurs, des chefs d’entreprise, des experts, des hommes d’affaires y avaient leur part, et une armée d’intermédiaires, de courtiers et de négociants. Et des bureaux d’études, des instituts de planification. Et des généraux, des hommes politiques, des policiers, des administrations entières. Et tous ces gens parvenaient à faire jaillir de cette faim commissions, bénéfices, profits, rentes, loyers, dividendes… Oui, vraiment, l’organisation minutieuse du développement de cette faim m’apparaissait comme une chose prodigieuse.