Vila Real : un bourg dans le sertão. Ce « conte militaire », ainsi que l'appelle son auteur, est l’histoire d'une lutte pour le droit à la terre – et le droit de vivre, tout simplement – d’un groupe de femmes, d'enfants, que le système de propriété en vigueur contraint à l’errance.

Dès les premiers mots, on est saisi d'une impression étrange, on est comme transporté, malgré la précision des lieux de l‘action, dans une zone figée, en suspens, dans un mirage que pourraientt créer l’intensité de la lumière, ou les hallucinations de la faim. Impression qui recouvre une permanence : plus qu'une action, c'est une situation que dit J. Ubaldo Ribeiro, dans un récit linéaire, poétique et dense.

Des prénoms étranges d'abord déconcertent : les hommes de Genebaldo… Argemiro, le Fils de Lourival… , ils contribuent à mon sens, à suggérer l’idée d'un être collectif. Après une phase d’attente,  – où sont dites les errances passées, où est annoncé l’affrontement qui se prépare – l’action s'engage, donnant son ancrage historique au récit : « une Caravane Mystérieuse » (les hommes d'une société minière) veut chasser le peuple d’Argemiro. L'entrevue d’Argemiro et du responsable de la société donne la mesure de l’incommunicabilité : « Argemiro alors parla très longtemps sans que l’homme lui réponde quoi que ce soit qui ne paraisse écrit sur son papier. Il pensa que c'était une confrontation déloyale, puisque lui-même devait improviser aprè beaucoup de sacrifices, tandis que l'homme lisait simplement sur le papier ce qu'il voulait dire […] Il dit à l’homme qu’un papier ne pouvait donner à personne le droit à la terre […] Mais l'homme répéta qu’il donnerait un billet de car et paierait la terre à ceux qui avaient de titres ».

Alors intervient un prêtre qui indique à Argemiro comment accéder aux armes de la Caravane Mystérieuse. « On ne doit pas tuer. Mais on ne doit pas mourir. » Puis les voci trahis, le padre Benedito – mi-prêtre, mi-guérillero – est torturé, sa tête promenée au bout d’une pique pour servir d'exemple.

Campés dans le maquis, els gens attendent, se préparent, retranchés à l’abri du rocher « Barriga da mãe » (« Ventre de la Mère »). L’épopée, dont on ne saura pas l'issue, se fait à nouveau légende exemplaire, « telle qu'on la conte encore à travers le sertão », comme il est dit à la fin du livre. Par des cènes esquissées, quelques dialogues, peu de chose, mais surtout par la force des mots, João Ubaldo fait vivre un imaginaire qui s'insère dans un quotidien de sensations

Si différent que soit Vila Real du Sergent Gétúlio, les deux livres se rejoignent d'une certaine façon grâce au personnage d’Argemiro, l’homme confronté à un destin qui le dépasse, ici encore superbement esquissé : c'est l'apprentissage du chef, malgré lui, d'un homme qui ne sait pas les mots qu’il faut.

Ce récit étrange est étonnament saisissant.

Alice Raillard, 22/02/1980.