C’est l’occasion de prendre tout son temps pour goûter le livre de notre collaboratrice Camille Goirand, qui édite sa thèse chez Karthala, dans la collection du Ceri «Recherches internationales». Elle a consacré des années de terrain à mieux connaître et comprendre le rapport de la favela carioca au politique. C’est quand même un tiers de la population de Rio, sa face obscure, celle pour laquelle on parle d’autant plus volontiers qu’elle est exclue, ignorée, méprisée. La favela, c’est l’autre, l’extrême altérité, moins on la connaît, plus on crée sur elle d’images, plus notre imaginaire fonctionne pour en faire un lieu apocalyptique ou une colline bucolique… Le plus urgent est donc que notre fantaisie cède la place à la description, l’étude, l’analyse. D’ailleurs, les favelados ne nous ont pas attendus pour entrer en politique et se faire entendre avec vigueur au cours des années 80, pour défendre leurs droits, revendiquer l’eau, un branchement électrique, des égouts…, bref s’organiser à travers des associations de quartier fort actives. La Politique des Favelas, après une première partie dressant le cadre historique (la Nouvelle République), économique et géographique du sujet, aborde la question des luttes sociales, le dur cheminement pour l’intégration, le rapport à la ville. La dernière partie élargit le débat aux enjeux de citoyenneté, de démocratie, de participation à la vie politique institutionnelle, entre les ambiguïtés du clientélisme et le civique usage du droit de vote. Le grand mérite de l’ouvrage est, au-delà des réflexions qu’il sait ouvrir, d’avoir écouté et restitué une parole souvent manipulée, quand dans le meilleur des cas on parvient à l’entendre. Sans renoncer à sa place et à son rôle de chercheur, pleinement assumés, Camille Goirand n’a pas cherché à se substituer à son objet, preuve qu’elle le respecte et est apte à en rendre compte (370 p.).