«Don Quichotte tupiniquim, Policarpo Quaresma est un homme bon, un patriote intégral, un visionnaire qui va payer cher sa naïveté face à l’ambition des hommes. Le héros de Lima Barreto est pétri de contradictions. Il porte le titre de major de la Garde Nationale mais il n’a jamais eu un tel grade. Il rêve de réformer son pays, mais il n’est qu’un gratte-papier. Il passe pour un lettré mais il n’a pas de diplôme, c’est un autodidacte, un dévoreur de livres et il y a du Bouvard et Pécuchet dans cette soif de connaissance. Dans ce Brésil de la fin du XIXe siècle, sous la présidence de Floriano Peixoto, Quaresma est habité par une idée fixe: expurger tout ce qui n’est pas purement brésilien. Son obsession va de l’adoption de la langue tupi-guarani à la place du portugais jusqu’à l’alimentation uniquement basée sur des produits d’origine. Aux yeux de son entourage, Policarpo sera d’abord un inoffensif visionnaire plutôt respecté pour ses convictions patriotiques, mais il passera pour fou lorsqu’il adressera à ses chefs un rapport rédigé en tupi-guarani. Il sera alors interné quelques mois dans un asile d’aliénés. À sa sortie, Quaresma s’installe à la campagne pour se consacrer à l’agriculture, mais son rêve s’écroule de nouveau lorsque sa récolte de fruits indigènes est détruite par une invasion de fourmis. Encore une fois, on ne peut s’empêcher d’évoquer Flaubert. En 1893, éclate une révolte de l’escadre contre le pouvoir en place. Dans un élan d’enthousiasme patriotique, Quaresma, qui déteste pourtant la guerre, s’enrôle dans l’armée aux côtés des légalistes et participe à une action où il est blessé. La révolte est matée mais Quaresma, maintenant chargé d’un camp de prisonniers, assiste impuissant à l’exécution de plusieurs d’entre eux. Indigné et toujours aussi naïf; il écrit au président pour protester. Il est arrêté, déclaré traître à sa patrie et paiera la droiture de sa vie. Ce roman, d’abord publié en feuilleton en 1911 dans un quotidien carioca, exploite à fond le ridicule et le côté prétentieux des bourgeois, des ganaches de l’armée et des politiciens prêts à tout pour satisfaire leurs ambitions. Traité d’abord sur un ton humoristique, le roman devient graduellement grave, pathétique, et termine en tragédie. Croupissant dans sa cellule, attendant la mort, Quaresma l’utopiste finira abandonné de tous. Policarpo Quaresma est à la fois un timoré et un anticonformiste. Il mène une vie réglée à la minute près entre son travail monotone et sa maison dans un quartier bourgeois, mais en même temps il indispose ses voisins et amis en prenant des leçons de guitare avec un jeune compositeur bohème, ce qui est indigne de son rang. Il refuse de faire de la politique, mais propose au président Floriano Peixoto. Il est pacifiste mais accepte le grade immérité de major et s’engage – un peu malgré lui – dans l’armée. Finalement ce nationaliste jusqu’à l’obsession finira comme un traître. D’après les commentateurs brésiliens cités dans la préface, Lima Barreto aurait été critiqué en son temps pour son style relâché, parfois incorrect, souvent redondant. La version française rend compte en tout cas d’un style lisible, clair, moderne. Et c’est tout à l’honneur des traductrices.» Roger Pardini