« En ce temps-là il y avait les riches et il y avait les pauvres, les méchants et les bons, et tout était dur et simple. Les pauvres souffraient beaucoup, ils avaient bien des défauts, mais au fond leur cœur était pur et le Paradis leur était ouvert. Ils se chamaillaient souvent, pourtant l’heure venue, ils savaient reconnaître leur “ennemi de classe”, se serrer les coudes et se montrer solidaires. Beaucoup de ces pauvres-là se sont donnés rendez-vous dans Suor, au 68 de la Ladeira do pelourinho, ce repaire de la déchéance et de la misère. Les portraits et les tableaux se juxtaposent : la fille tuberculeuse, le juif communiste, le musicien qui n’a pas eu sa chance, la sourde-muette, la prostituée, le mendiant, le nègre costaud, le militant clandestin… La vieille et digne Risoleta, dont les cheveux blancs commencent « à dominer les noirs comme un parti politique faible qui gagne peu à peu des adeptes », passe ses jours et ses nuits courbée sur sa machine à coudre pour gagner les maigres sous nécessaires à sa survie. Au total, 600 hommes et femmes, qui broient du noir et malgré tout font la fête, qui meurent d’absence d’hygiène, d’accidents du travail et des balles de la police, qui toussent, pissent et transpirent comme dans une chanson réaliste. Amado n’a pas lésiné sur les détails expressionnistes, les rats, les cafards dans les haricots, les punaises qui vous grimpent le long des jambes… Avec ce troisième roman, paru en 1934, nous sommes déjà dans la phase militante. La sueur, c’est celle que les exploiteurs volent aux miséreux […]. À bien y regarder, elle condense aussi déjà une sensualité exotique, qui ne s’exprime jamais plus librement que sur les sables dans quais du port. […] Roman urbain qui inaugure la série des Jubiabán Mar morto, Capitães da areia. On pense plus avant au Cortiço d’Aluísio Azevedo, tant soit peu plus complexe, mais qui avait lui aussi pour unité de lieu un de ces établissements populaires où se côtoient victimes et rebuts de la société. Seulement, depuis 1890 et la vague du naturalisme, il y a eu Lénine et les ambiguïtés des premières années Vargas. La vitalité du Peuple avait alors pour horizon la grève et l’union de tous les prolétaires. C’était magique. Ça ne l’est plus. M. Riaudel.