« L’éternelle tragédie des paysans pauvres du Nordeste brésilien, les sans-terres, les flagelados chassés par la sécheresse ou par les grands propriétaires fonciers, reste une source inépuisable d’inspiration pour les romanciers. Pour sa part, Jorge Amado a su tirer une vaste fresque d’un fait banal dans les années trente et malheureusement encore pratiqué de nos jours: l’expulsion pure et simple de tout un village de paysans employés dans une fazenda. Le doutor Aureliano, propriétaire d’une plantation dans le nord de l’Etat de Bahia, vit à Rio et ne visite pratiquement jamais ses terres. Ayant décidé de vendre , il donne l’ordre à son gérant d’expulser ses métayers et ses employés de ferme. Et c’est l’exode vers le sud, vers São Paulo, le paradis des déshérités où, dit-on, le travail abonde, où les terres sont distribuées gratuitement, où la sécheresse est inconnue. Autant de rêves qui jamais ne seront concrétisés. Chassée comme les autres, une famille de métayers dirigée par l’aïeule jacindina entreprend sa longue marche dans le caatinga desséché, sans nourriture, sans eau et sans aide aucune, car la misère rend dur, d’abord survivre. La marche se prolonge, les épreuves s’accumulent et chaque personnalité se détache. Jacundina est le chef, elle garde la tête froide aidée par le vieux Jeronimo qui meurt près du but. La petite Noca, la cadette de la famille, meurt aussi d’épuisement. On pleure mais maintenant qu’elle n’est plus, on s’empresse de sacrifier son chat. Une des filles, Zelda, est simple d’esprit, elle semble possédée et effraye toute le monde avec ses visions prémonitoires. On finit par la respecter comme une sainte. Jeremias, courageux bourricot aimé de tous, boute-en-train du groupe avec ses fantaisies et ses solères, meurt empoisonné par une plante toxique. On ne pourra même pas le manger. Seule lueur de bonheur dans cette misère, une idylle entre une adolescente et son cousin avec la complicité des autres jeunes et malgré la colère des parents. D’autres groupes parcourent la caatinga. Il y a Estevão, le “beato”, le saint, le prophète, un de ces illuminés comme on en rencontre encore au Brésil, surtout dans le Nordeste, et qui prêche la bonne parole. Il finira massacré par les soldats avec ses fidèles, car c’est un subversif qui encourage les paysans à la révolte. Il y a enfin les cangaceiros, ces terribles bandits un peu trop auréolés par la littérature. Loin de prendre aux riches pour donner aux pauvres, ils massacrent pour voler et ne sont, dans le récit d’Amado, qu’un ramassis de desperados courageux certes mais incroyablement sanguinaires. Ce sont, il est vrai, des paysans pour la plupart, en rébellion contre l’injustice. L’un d’eux, Zé Tonnerre, est le propre fils de Jacundina. Il finira sous les balles des “macacos”, surnom des soldats de l’armée fédérale. Amado était reconnu comme le plus grand écrivain brésilien lorsqu’il publia Les chemins de la faim en 1946. […] L’année précédente, il avait été élu député national à São Paulo pour le parti communiste et, dans ce roman, son engagement politique transparaît plus nettement que dans ses écrits postérieurs. Aussi le récit paraitra-t-il peut-être un peu froid au lecteur habitué à ses grandes envolées et à sa truculence. Quelques grands moments cependant, notamment l’investissement d’un bourg par les cangaceiros qui obligent les notables terrorisés à organiser un bal avec leurs épouses et leurs filles. C’est cruel et drôle à la fois, c’est du Amado. » R. Pardini.