"Pourquoi est-ce qu’il fallait qu’ils soient toujours des malheureux, a` toujours fuir dans la brousse comme des be^tes ?" Pourquoi les pauvres doivent-ils tout endurer, pourquoi leur de´sarroi ne cesse-t-il jamais, pourquoi les mots leur manquent-ils toujours pour exprimer leur de´tresse, pourquoi la nature les accable-t-elle ? Pourquoi le monde est-il si dur, sauvage, impe´ne´trable ? Tant de « pourquoi » hantent ce splendide roman ! Car Vies arides consiste en un suspense terrifiant, une longue attente rongée d’angoisses. On y rencontre les douleurs fondatrices de l’e^tre, l’effroi de ne pouvoir s’extraire de sa condition, et jusqu’aux re^ves cache´s qui s’ane´antissent dans un monde immobile. Ainsi, les treize brefs chapitres qui le composent – ce sont des nouvelles, que l’e´crivain a rassemble´es pour construire un roman cohe´rent – constituent un cycle qui re´sume l’existence de paysans e´puise´s de vivre dans le serta~o desse´che´ du Nordeste bre´silien. Fabiano, sa femme Sinha Vito´ria, leurs deux enfants et leur chienne Baleine, errent dans un semi-de´sert, fuyant une se´cheresse abominable, se fixent dans une ferme délabrée, essaient d’y survivre un temps, puis fuient une fois encore, comme si le malheur ne connaissait pas de terme… Ramos raconte leur arrive´e, leurs occupations quotidiennes, de´crit leurs gestes, la nature inhospitalie`re, le froid saisissant, la chaleur e´crasante, la faim qui les consume ; leur durete´, leurs fragilite´s et leurs silences. Vies arides pourrait n’e^tre que la description d’une vie paysanne laborieuse et pe´nible, un e´nie`me roman social, une de´nonciation re´aliste et de´sespe´re´e. Mais tout dans ce livre d’une grande intensite´ confine à l'illumination. Le plus simple y acquiert une force, une grandeur sublime. Le destin figé de ces e^tres frustes en vient a` incarner le silence et la souffrance des humbles. Comme d’autres grands e´crivains qui de´crivirent cette re´gion de´sole´e du Bre´sil – Rachel de Queiroz et Joa~o Guimara~es Rosa pour ne citer qu’eux –, Ramos transmue la description du malheur en une interrogation sur la nature de l’homme, ses silences, l’espoir et les illusions qui l’animent, le grand vide qu’il affronte. Ainsi, s’il « avait de la malchance, Fabiano voulait l’affronter, avoir les forces de l’affronter et de la vaincre. Il ne voulait pas mourir. Il e´tait cache´ dans la brousse comme un tatou. Coriace, lourdaud comme le tatou. Mais un jour il sortirait de sa tanie`re, il marcherait la te^te haute, il serait un homme ». Ramos, suivant a` tout moment et au plus pre`s chacun de ses personnages, entreprend de comprendre la douleur d’un homme qui « vivait enchai^ne´ comme un bouvillon qu’on attache au piquet pour le marquer au fer rouge ». Pluto^t que de chercher seulement a` de´crire la mise`re et la pre´carite´, Ramos choisit d’affranchir son re´cit de toute dimension moralisante, par un style d’un de´pouillement maximal qui appauvrit a` l’extre^me le lexique. Il se refuse a` toute forme de lyrisme ou de grandiloquence, ne recule pas devant les re´pe´titions, les reprises, comme si la langue, a` l’image du paysage, s’asse´chait litte´ralement. Les discours maladroits, les morceaux de pense´es avec lesquels les personnages, e´puise´s, se de´battent tout au long du re´cit, ne sont pas la` pour de´noncer une re´alite´ mais pluto^t pour montrer la manie`re dont les e^tres inte´riorisent une re´alite´ qui les broie. Tous les rapports de force – entre puissants et humbles, e^tres et nature, humain et animal, vivant et inanime´, raison et folie – se répètent sans fin, en un cycle qui donne le vertige. Et ce caracte`re inexorable s’exprime dans une obsession pour le paysage, la description me´ticuleuse et re´pe´titive de la nature, l’intrication des personnages et de leur environnement, la confusion entre ce qui est vivant et ce qui est mort, le mouvement et l’im- mobilite´. Tout ici recommence toujours. L’univers n’est plus qu’une part de l’e^tre qui le subit, les choses acquie`rent comme