Académie des sciences d'outre-mer

Les recensions de l’Académie

 

Le Père dominicain portugais Joao Dos Santos se rend en 1586 en Afrique de l’Est,  au Mozambique actuel, où il demeurera onze ans puis de là gagne les comptoirs de l’Inde  occidentale, Goa, Cochin, Chaul où il résidera trois autres années ; à son retour au Portugal  en 1600, il sera nommé Supérieur du couvent dominicain d’Evora,  qui était déjà célèbre  pour son université et il va y rédiger le compte-rendu de ses voyages et de ses séjours ultramarins. Il s’agit d’un ouvrage en deux parties ; la première décrit minutieusement les coutumes et traditions des populations indigènes, la vie dans les «échelles coloniales», la  faune et la flore, de cette partie de l’Afrique, appelée alors «Ethiopia orientale», et qui  constituent des documents exceptionnels pour l’époque. La deuxième partie concerne la  christianisation mise en place avec le concours des Jésuites et des Dominicains auprès de  habitants  de souche, appelés « Cafres » (de l’arabe «Kafer» : «païen»), des «Maures»  (Arabes et Turcs expatriés) et des métis luso – africains. Les Portugais sont à la recherche,  dans cette partie  du continent, du « Royaume du Prêtre Jean » qu’ils découvriront en  Abyssinie. En Inde, au Kerala, les Portugais seront surpris de trouver des Chrétiens indiens,  dont la conversion est attribuée à Saint – Thomas et qui se tournèrent vers les Patriarches  syriaque et assyrien dits « de Babylone », en résidence en Irak pour la formation de leurs  prêtres et l’envoi de missels de ces rites. Aujourd’hui encore, une partie du clergé local,  appelé syro-malabar et syro-malinkar, se reconnaît dans cette filiation.

Cette autobiographie, publiée plusieurs fois au Portugal, fut traduite en français en 1684 puis en 1694, pour l’intérêt apporté à la documentation qu’elle contenait. À partir d’un texte définitif établi à l’Université de Lisbonne par le Professeur Rui Manuel Loureiro, Madame Florence Pabiou Duchamp nous présente une nouvelle traduction modernisée, très bien illustrée par des cartes et des documents du XVIe siècle et complétée par un très dense  appareillage de notes à laquelle il faut rendre hommage.

L’ouvrage  est un véritable plaidoyer en faveur de l’expérience du terrain et l’auteur  s’est entretenu avec les Portugais et les Musulmans expatriés, des personnalités de passage, des religieux et des marchands. Au XVe siècle, cette région d’Afrique du Sud-est est  occupée par l’empire du Monomatapa, couvrant la vallée, riche de mines d’argent, du Zambèze, l’île de Mozambique et s’étendant vers l’intérieur encore inexploré ; cet État va se fragmenter au XVIe siècle en royaumes Quiteve (dont le souverain est lié aux Portugais), Quissango, Sedanla, Manica, habités par des tribus bantoues ; les ennemis de l’extérieur sont les «Turcs», installés à Mombasa et leurs mercenaires arabes ( l’utilisation de mots  arabes dans le swaheli comme «dahabo» pour «l’or» le prouve) et parmi les concurrents  européens, les Hollandais. L’état sanitaire est défectueux, les Portugais souffrent des  fièvres ; la variole est endémique. Les «Cafres» sont décrits comme «folâtres» adonnés à la canabis, jouant du balafon ; ce sont leurs femmes qui assurent les travaux des champs ;  certaines tribus sont anthropophages ; ainsi, les « Maures » de Kilwa ont été dévorés par leurs attaquants. Les épouses du roi doivent le suivre dans la tombe, non sans avoir  auparavant désigné le successeur qu’elles choisiront parmi ses proches ou ses fils. Les descriptions botaniques, celles des plantes curatives avec leurs noms locaux, des légumes et des fruits sont très précises comme les données zoologiques, l’organisation des chasses au grand gibier, lions, hippopotames, tigres, rhinocéros, la présence des serpents venimeux dans les forêts du Sofala, l’élevage à grande échelle des porcs et des chèvres. La côte de l’actuel Kenya avec ses villes de Malindi, Mombasa, Lamu, est en partie occupée par des gouverneurs «maures». Le phénomène de la mousson qui permet de se rendre en Inde ou  d’en revenir en trois semaines est analysé. L’Éthiopie, où le Père Dos Santos ne se rendit pas est longuement décrite puisque c’est la patrie du Prêtre Jean, notamment les provinces  du Choa, du Godjam, du Tigré, d’Aksoum, la cataracte du Nil Bleu et même celle  d’Assouan ; les églises sont peintes à l’intérieur et le Patriarche copte éthiopien est envoyé  du Caire. La cour du Négus, qui n’a pas choisi de capitale, est nomade. Les Portugais d’ailleurs s’installeront à Gondar où se fixera exceptionnellement la dynastie des Fasilidès.

L’auteur se rend en septembre 1597 en Inde et y restera trois ans. Il s’intéresse à  l’architecture des temples hindous, se familiarise avec la « caste » des  yoguis (ou «dervis» dans le texte), et des chrétiens du Kerala, qui se verront latinisés de force au Synode local de Dampierre (20 juin 1599) car, dit-il «ils niaient la virginité de Marie, l’Incarnation et l’adoration des images». Hors Afrique et Inde, sont évoqués les confettis coloniaux portugais répartis sur un immense espace, Siam, Cambodge (Angkor est mentionné), Birmanie, Indonésie, ainsi que les missions des Dominicains portugais en Perse, en  Arménie, en Géorgie. C’est l’état de l’Asie entière  à la fin du XVIe siècle que nous fait  entrevoir ce Dominicain inspiré et érudit. Par contre, il sera très bref sur son voyage aller de  Lisbonne à l’île de Mozambique qui dura six mois en 1586, et, pour son voyage retour  depuis Cochin 14 ans plus tard ; il s’étendra seulement sur l’escale de Sainte-Hélène où Hollandais et Portugais faillirent se battre autour des points d’eau.

L’expansion coloniale portugaise avait commencé vers 1430 avec l’exploration des  îles atlantiques et des côtes occidentales africaines. Vasco de Gama ouvrit la route de l’Inde par la Cap de Bonne