Au début du XVe siècle, l’Italien Varthema accomplit l’exploit de visiter sous une fausse identité de mamelouk, la Mecque et Aden ( interdites aux Chrétiens ), avant de se rendre dans l’Inde récemment visitée par Vasco de Gama, et ensuite dans l’Insulinde et les Moluques… L’Itinerario de Varthema, publié à Rome en 1510, ressemble en force points au périple effectue près d’un siècle plus tôt par Nicolo de Conti : visite des mêmes grands territoires ( Arabie, Inde, Sumatra, Java, Moluques ), comme mahométan en terres d’Islam, probable conversion à l’Islam dont l’auteur cependant se défend, silence sur ses amours, et compte-rendu factuel presque aride. S’étant fait prendre par délation à Aden, il fut le premier Européen à visiter et témoigner du Yémen. On comprend pourquoi sa relation, rapidement traduite en latin et en allemand, figura parmi les livres de chevet des explorateurs. En revanche, sa diffusion fut nettement plus confidentielle dans la péninsule ibérique : « sans doute parce qu’il contenait tant d’informations sur les terres et les mers où se déroulait l’expansion lusitanienne, l’Itinerario aura été victime de la politique restrictive de Lisbonne, qui a découragé, dans la première moitié du XVIe siècle, et bien au-delà, la publication de tout ce qui touchait aux ‘Indes de Portugal’ (préface, p.13) ». Cette édition comporte de nombreuses gravures tirées de l’édition allemande, dans un style très renaissance et reproduites juste à titre d’illustration. Quelques cartes supplémentaires suivent le récit. Néanmoins, Varthema prit d’évidentes libertés avec la réalité, au point que son récit semble moins important que l’historiographie ne le présente généralement. Pour commencer, préface et notes montrent que son voyage en Perse ( il n’en parle d’ailleurs pas la langue, alors qu’elle est commune aux marchands dans l’Océan Indien ) ne put avoir lieu vues les incohérences de dates, de durées et la superficialité des détails. Ceux-ci, autrement plus fouillés et fondés dans les chapitres sur l’Inde, redeviennent évasifs sur les Moluques et le Sud-Est asiatique. Dans la même veine, comme Conti du reste, il passe sous silence l’organisation politique des lieux visités : « sur l’atmosphère et la vie à Cochin et à Cannanore, qui étaient alors les seules bases portugaises de l’Inde, Varthema n’a pas laissé d’impressions. Du moins ne manque-t-il pas de confirmer, dans les deux batailles navales auxquelles il prit part, la fougue meurtrière des capitaines de dom Manuel, qui se ruaient, au nom du Christ, sur des ennemis plusieurs fois supérieurs en nombre (préface, p.27) ». On le prend aussi à broder sur les avances féminines à son endroit, et parfois même à affabuler : il décrit ainsi de visu une supposée licorne selon les canons graciles du mythe européen, qui ne correspondent pas à la pesante constitution du rhinocéros qui lui aurait donné le bénéfice du doute. Enfin, ses nombreuses retranscriptions de dialogues en arabe ou en malayalam sont commentées en notes par des spécialistes, qui relèvent sa connaissance approximative mais suffisante de ces langues. Varthema, ethnologue Ces réserves faites, l’Itinerario n’est pas sans intérêt. La préface précise ce qui fit en grabde partie la célébrité de l’ouvrage : « en ethnologue avant la lettre, il a noté les mœurs sexuelles des pays de l’Inde avec autant de détachement étonné que l’ensemble de leurs usages. Il ne manifeste pas d’appétits. Ce sont des mauresques, en Arabie, qui mettent un peu de sentiments dans l’Itinerario. A la Mecque, un marchand arabe qui a fréquenté Gênes et Venise, et l’identifie comme italien, le cache dans sa maison et le laisse avec sa femme et une jolie nièce de quinze ans pleine d’attentions adolescentes (p.21) ». Les passages sur les femmes sont cependant nombreux, et suggère en fait une réelle inclination pour elle et la chose sexuelle, comme pour ses descriptions du bouddhisme et de l’hindouisme qu’il assimile à des variantes de christianisme, fréquente erreur à l’époque : « sachez donc que [les brahmanes] sont les principales autorités de leur religion, comme les prêtres chez nous. Quand le roi prend femme, il cherche le plus digne et le plus respecté de ces brahmanes, et il le fait coucher avec sa femme pendant la première nuit, afin de la déflorer. Mais n’allez pas croire que le brahmane fasse volontiers cette besogne : il faut que le roi lui donne pour cela 400 ou 500 ducats en paiement. Seul le roi, à l’exclusion de toute autre personne, pratique cet usage à Calicut (pp.148-149) ». On trouvera aussi pp.193-194 une description de la satî, ( qu’on retrouve chez Vasco de Gama ), rite selon lequel une veuve devait s’immoler… Ses descriptions sont autrement détaillées, mais sans l’élégance littéraire et le regard pénétrant d’autres voyageurs contemporains. Il ne cessa ainsi de décrire comment le trafic du « Golfe d’Arabie » ( = l’Océan Indien ) était aux mains des Maures, tout en donnant ici et là quelques distances, routes et indications maritimes pour la navigation dans le Golfe du Bengale. Voici quelques brefs extraits de son parcours antérieur entre Damas et la Mecque : « la richesse et la beauté des ouvrages qu’on y fait est inestimable […] Ces maisons sont laides à l’extérieur, mais magnifiques à l’intérieur, avec beaucoup d’ouvrages de marbre et de porphyre […] En 1503, le 8 avril, comme se mettait en place la caravane qui allait à la Mecque j’eus envie de voir des choses nouvelles. Ne sachant trop comment m’y prendre, je le liai d’une grande amitié avec le capitaine des mamelouks de cette caravane, qui était un chrétien renégat. Il m’habilla en mamelouk, me fournit un bon cheval et me mit en compagnie d’autres mamelouks. Tout cela moyennant finance et en échange d’autres mamelouks […] De Damas à la Mecque il y a un trajet de quarante jours et quarante nuits (pp.44,45,49,51) ». Sans doute les passages les plus étoffés sont ceux attenant aux épices, aux fruits et aux animaux, principaux sujets d’étonnement chez les Européens des XVe et XVIe siècles. La preuve par l’exemple : « quand ils vont à la bataille, l’éléphant porte un bât fait comme ceux des mulets du royaume de Naples et attaché