Ouvrage double : la Mission d’Ibiapaba est le témoignage personnel du jésuite António Vieira ( homme célèbre mais méconnu en France ), suivie de la très éclairante étude de João Viegas correspondant au sous-titre et dont une lecture préalable permet de mieux saisir l’ensemble. La Mission est le récit du travail d’évangélisation au XVIIe siècle du jésuite au Nord du Brésil et de ses impressions sur les traditions amérindiennes, avec en filigrane diverses évocations des appétits et raids coloniaux des Français comme des Hollandais. Ibiapaba est un toponyme, un mot indigène signifiant « pays escarpé ». La pagination étant ici équitablement partagée entre le témoignage oculaire de Vieira et l’étude historique de Viegas, l’ouvrage tient à la fois de la littérature de voyage et du livre d’histoire, par lequel cette chronique commence pour mieux cerner le contexte. Le Brésil : un continent immense pour un petit royaume Il convient d’avoir en tête les circonstances dans lesquelles se meut le portugais : « la colonisation d’un territoire aussi vaste pose des problèmes évidents pour un petit royaume comme le Portugal, riche de 1,5 millions d’âmes et ayant déjà à gérer un empire colonial gigantesque. Pour les résoudre, dom João III va utiliser le modèle des capitanias-donatarias, mis au point au XVe siècle dans les îles atlantiques ( Madère, les Açores, le Cap-Vert, São Tomé ). En 1536, il partage le territoire du Brésil en douze parties concédées à des ‘capitaines donataires’. Chaque donataire est investi de larges pouvoirs administratifs, juridictionnels et militaires dans sa ‘capitainerie’, où il est autorisé à percevoir une partie de la dîme […] et les droits banaux ( notamment ceux issus des moulins à sucre ). Les capitanias-donatarias sont en principe inaliénables, irrévocables et héréditaires, ce pourquoi on a souvent voulu y voir des institutions de droit féodal. Si elles s’inspirent indéniablement de l’ancien droit portugais, elles se rapprochent pourtant, par leur esprit, des concessions du droit administratif moderne (pp.93-94) » Or « le territoire est immense, le climat néfaste. D’autre part, les indigènes sont dispersés en tribus semi-nomades, hostiles les unes aux autres. En s’alliant avec certaines tribus, les Portugais vont immanquablement entrer en guerre avec les autres, qui n’hésiteront pas à se ranger aux côtés de leurs rivaux européens, en particulier des Français. La résistance indigène prend la forme d’une ‘guérilla’ faite de rapines et de petites expéditions armées contre les colons isolés. Dans ces conditions, les capitaines-donataires sont impuissants à réagir efficacement. Leurs efforts sont d’ailleurs très inégaux. Certains ne daigneront même pas quitter la métropole. D’autres sont davantage préoccupés de découvrir ces mines que l’on cherche dans tous les recoins de l’Amérique du Sud […] Le système des capitanias est impuissant à dissuader les Français de leurs projets de colonisation en Amérique du Sud (p.95) ». C’est que ceux-ci ne leur facilitent pas non plus la tâche : « attisées par les Français, les révoltes indigènes prennent vite des proportions inquiétantes (p.104) », dont Hans Staden. donne un excellent témoignage de comment Indiens et Européens jouent des rivalités réciproques. Quant aux ‘guérillas’, Vieira en donne un saisissant exemple : « comme le gouverneur était accompagné d’une grande escorte de soldats et d’Indiens ceux d’Ibiapaba ne manquèrent pas de voir dans cet appareil la preuve certaine que l’expédition visait à les conquérir. Ils furent en secret appeler tous les Tapuya de leur connaissance et ils les postèrent en embuscade pendant que le gouverneur passait sur leurs plages. Dès que celui-ci fut suffisamment éloigné pour qu’il n’y eût plus de danger, ils défirent leur dispositif. Tout cela fut fait avec tant de dissimulation et de secret que les pères n’en eurent connaissance avant plusieurs années (p.52) » Par ailleurs, « Salvador de Bahia devient la capitale politique et militaire du Brésil. Elevée au rang d’évêché dès 1551, elle en devient également la capitale religieuse, ce qu’elle restera jusqu’en 1907 […] La ville de São Paulo est fondée (1554) dans l’intérieur des terres, à l’initiative des jésuites […] En 1615, les Français sont expulsés de São Luís. Quelques années plus tard, en 1621, l’Etat du Maranhão est créé, regroupant les capitaineries du Ceará, du Maranhão et du Pará. Le nouvel ‘Etat’ est indépendant du Brésil [jusqu’en 1772] ; il est administré par un gouverneur-général relevant directement de Lisbonne (p.99) ». Enfin, on ne soulignera jamais assez tous les rôles historiques qu’on joué les jésuites, mais ce sont eux qui, « les premiers, mettent en cause l’asservissement des indigènes. Dès leur arrivée à Salvador de Bahia, ils sont scandalisés de voir les colons posséder des esclaves acquis ‘illégalement’. Il faut dire que les pères débarquent au Brésil pleins de cette rigueur morale nouvelle prônée par la plupart des grands courants religieux du XVIe siècle. En outre, ils ont la tête remplie des nouvelles conceptions théologiques et juridiques qu’on enseigne alors dans les grandes universités d’Espagne au sujet de la légitimité de la conquête et des droits des indigènes américains (p.105) »… António Vieira, père jésuite Vieira est de ceux-là, encore qu’« on n’a pas manqué de relever les contradictions entre les idées apparemment ‘humanistes’ de Vieira sur les Indiens et son acceptation de l’esclavage des noirs d’Afrique (p.91) ». Mais son approche plus ouverte et ses libéralités lui créent de sérieux ennuis et des ennemis parmi les colons : « un nouveau tournant survient en 1661, lorsque les jésuites sont expulsés du Maranhão. Vieira, principal objet de l’ire des colons, est alors contraint de revenir à Lisbonne. Pour tomber en disgrâce. En effet, avec l’arrivée de dom Afonso VI sur le trône, il perd ses appuis à la cour […] Ni son séjour à Rome (1669-1675), ni sa réhabilitation face à l’Inquisition, ni son retour à Bahia (1681) ne l