Témoignage de trois naufrages au milieu du XVIe siècle. Le troisième récit, le plus long et de grande qualité littéraire, est remarquable par le périple raconté, depuis le Portugal à Sumatra, en passant par l’Afrique et le Brésil. Avec un glossaire maritime en fin d’ouvrage. Deuxième version (1999) revue et corrigée de celle de 1992, voici le premier titre de la collection La Magellane vouée à la littérature de voyage. La notice introductive précise que les trois récits de ce recueil ne sont qu’un choix parmi ceux qui foisonnaient au XVIe siècle : « ces relations sont des récits de rescapés. Publiés à Lisbonne en plaquettes bon marché, elles constituèrent un genre littéraire qui connut un très vif succès. Dispersées, oubliées, il fallut attendre le XVIIIe siècle et la compilation de Brito pour qu’elles soient enfin reconnues comme chefs-d’œuvre de la littérature maritime (p.7) ». En l’occurrence, il s’agit de : 1. Naufrage de la nef Conceição (1555) 2. Perte du grand galion São João (1552) 3. Naufrage de la nef São Paulo (1562) L’ouvrage comporte en fin d’ouvrage deux schémas de caravelles avec la terminologie associée à leur structure, suivie d’un glossaire maritime alphabétique. Causes communes aux trois naufrages Ces trois témoignages se rejoignent sur divers points, à commencer par le vieil adage selon lequel ce n’est pas la technique qui est en cause, mais l’erreur humaine, et plus particulièrement l’incurie et la suffisance du pilote, seul maître après Dieu ( pilote, du latin perdoctus ) et remis en cause dans les premier et troisième récits. Dans ce dernier cas, même le capitaine ne peut s’en faire entendre : « cet ordre, il [le capitaine] le donnait de la part du roi, mais l’autre ne voulut jamais l’exécuter, malgré les requêtes, les prières et les menaces, disant et donnant comme réponse des paroles bien dignes de châtiment. Il aurait été puni de sa faute sans des tiers qui, non moins sots que lui, l’en excusèrent. Il montra les instructions du roi ; elles ordonnaient de ne pas l’entreprendre sur son métier, interdisaient à toute personne, quelle que fût sa qualité, d’intervenir en pareil cas. Ses attributions étaient si larges qu’on eût dit que la volonté royale, non contente de lui confier ses biens, livrait et remettait la vie des hommes à l’entêtement d’un rustre, opiniâtrement attaché à l’idée qu’il avait de sa fonction et incapable d’admettre un conseil, vînt-il d’un ange […] Et seul l’argent que, de Malacca et des Moluques, il apporta au Portugal lui donna l’autorité nécessaire pour qu’on lui confiât cette nef et qu’on le nommât pilote sur cette flotte (p.147) ». A cela, il faut ajouter l’intérêt personnel des marins qui, avec quelques exceptions selon les circonstances, privilégie le salut individuel sur celui de la communauté, avec une issue fatale pour tous. Et c’est bien ce que leur rappelle le père Manuel Álvares au troisième récit : « mes très chers frères, je vous rappelle la très sainte parole de l’Evangile : omne regnum in se divisum desolabitur. Quand la concorde règne, les petites choses, même les plus infimes, gagnent en force et deviennent durables. Avec la discorde, les grandes choses se défont, elles s’amenuisent et sont réduites en poussière […] virtus unita fortior est se ipsa dispersa (p.161) »… Or les officiers, les premiers du reste, n’étaient pas en reste : « il chargea si bien son navire que, pour emporter sa cargaison, il dut renoncer à prendre les hommes qu’il avait désignées, lesquels pouvaient être 60 ou 70, dont il n’emmena que 40 […] on nous mit tous dans le petit canot qu’ils avaient construit auparavant. A coups d’épée, sans aucune pitié, ils nous repoussaient (pp.36-37) ». Naturellement, tout n’est pas à mettre sur le compte exclusif des individus, car le mauvais sort pouvait amener les nefs sur des récifs ou s’abattre indifféremment sur le matériel : « on recousait les voiles tous les jours. Il n’en restait plus que des lambeaux raccommodés. Pour ce travail, aucun, si noble qu’il fût, ne se récusait et celui qu’on aurait cru devoir, le dernier, répondre à l’appel, se présentai, le premier, avant tous les autres. Nul ne voulait se laisser distancer, considérant le retard comme un affront et une infamie. La nourriture manquait déjà presque à tout le monde (p.124) » Car la nourriture était le grand problème, que ce soit sur les îles de naufragés ou lors de voyages indûment prolongés, quand ce n’étaient pas les deux à la fois : « il ne restait ni viande, ni vin, ni poisson, ni de quoi soutenir et alimenter ces corps délabrés. Certains n’avaient que très peu de vêtements pour se couvrir et protéger leur chair, pour se défendre contre la neige et les grands froids qui pénétraient leurs membres et leurs os. Ils supportaient ainsi leur misère. Dans ces parages, le capitaine, ému de pitié, souffrant de voir ses gens mal en point, contraient par le remords de sa conscience et par les clameurs de tous ces hommes qui lui demandaient à manger et à boire, leur fit donner, pour calmer leurs esprits, une ration de vin sur les deux prescrites par le règlement du roi, décision fâcheuse assurément, bien mal prise et plus mal jugée. Car c’est l’usage, quand les vivres manquent au cours de voyages beaucoup moins longs et coutumiers que le nôtre, de porter au compte du roi ce qu’on emprunte aux associés pour le donner aux hommes. Cette mesure devrait faire l’objet d’un ordre spécial au contrôleur du roi notre seigneur, puisqu’elle est si nécessaire à la vie de tous. Les capitaines hésitent à la prendre, de peur qu’on ne les rembourse pas et qu’ils en soient pour leurs frais (p.125) » 1. Naufrage de la nef Conceição (1555) Le premier témoignage est la chronique d’un naufrage annoncé, le pilote n’ayant cure qu’il voguait sur des fonds bas : mer verte, présence d’oiseaux, etc. ) : « voilà comment la nef Conceição, avec le vent en poupe, et par mer calme, toutes voiles déployées » s’échoua pendant la nuit. Ceux qui s’échappèrent ensuite, dont le capitaine sur la grande chaloupe, promirent d’envoyer des secours depuis Cochin, mais rien ne vint. On peut admirer la débrouillardise qui permit à près de deux cents personnes de survivre