Première réédition du Voyage pittoresque et histoire du Brésil (1834) : une centaine de reproductions couleurs, beaucoup anthropomorphes ou botaniques, témoignant du Brésil autochtone tel que perçu par ce Français au début du XIXe siècle. Textes intéressants. Cette première réédition du premier tome du Voyage pittoresque et histoire du Brésil publiée en 1834 rappelle ceux d’autres voyageurs dessinateurs du XIXe siècle, célèbres pour leurs rendus de ruines mayas ou égyptiennes. Bien moins connues sont celles de Debret, et pour cause : son œuvre n’avait pas été rééditée depuis près de deux siècles, sans doute parce qu’en Amazonie il n’y avait pas d’architecture de pierre qui aurait pu frapper les mémoires. Son histoire est pour le moins curieuse, en ce qu’il ne fut pas un vrai voyageur, mais un diplômé des beaux-arts qui accepta, avec d’autres Français, de former une académie à Rio de Janeiro où la Cour portugaise était alors installée. Le hasard, c’est-à-dire les événements politiques en France, firent qu’il y resta seize ans, au lieu des quatre prévus dans son contrat, ce qui lui permit de faire quelques incursions dans la jungle amazonienne et consigner maints traits ethnographiques et botaniques. L’ouvrage La réédition est au format italien, taille plus adaptée pour les planches horizontale, moins pour les verticales mais dont on se consolera par l’élégance des marges latérales. Le livre se compose d’un texte informatif en vis-à-vis des planches, toutes reproduites en belle page. On trouvera en fin d’ouvrage une carte du littoral sud-est du Brésil avec quelques brèves explications sur les groupes indigènes : sans doute vaut-il mieux commencer par cela pour ne pas se perdre entre les différentes ethnies. Les planches sont d’une belle esthétique, et figurent autant des bustes d’hommes que des groupes d’individus en situation. Certaines sont très étonnantes, tel l’usage de l’arc tendu littéralement avec les pieds (p.41), les manteaux de fourrure (p.49), le groupe d’Amérindiens à la lèvre inférieure mutilée (p.51) ou encore la charge à flanc de cheval comme dans certains westerns (p.67). Un tiers des planches, surtout à la fin, concernent des exemples de vannerie, de parures et vêtements, d’armes et de spécimens botaniques. On gagnera à observer l’importance et la richesse des parures en plumes ( pour plus de compléments, se reporter à notre interview ). On notera cependant deux artéfacts propres à l’artiste : une forme toute particulière des yeux d’une part et d’autre part des proportions corporelles qui dans plusieurs planches sont davantage le résultat d’une déformation professionnelle et occidentale qu’un vrai reflet de la réalité. D’une certaine manière, Debret préfigure l’art américaniste des grands muralistes mexicains du XXe siècle. A ce titre, le texte comporte parfois quelques biais tout occidentaux et propres à l’époque : étonnement devant l’anthropophagie et les pratiques de tatouage, de masque ou de mutilation faciale : « une bizarrerie assez remarquable, c’est que, malgré leur civilisation avancée, ils ont conservé l’habitude du tatouage (p.66) », ou encore « il ne restait véritablement plus à l’homme sauvage industrieux, après avoir épuisé toutes les ressources du tatouage pour se rendre hideux, qu’à se fabriquer des masques en forme de tête d’animaux de toute espèce, seul moyen de reproduire physiquement l’apparence d’une monstruosité plus épouvantable (p.86) ». Il y a aussi une réprobation tacite de la nudité et de la liberté sexuelle, ainsi que de la ruse et de l’agressivité dont les Amérindiens pouvaient faire preuve… Autrement, le texte est favorable aux autochtones, n’hésitant pas à vanter leur belle constitution physique et sens esthétique : « non contents de n’avoir pas de barbe au menton, ils ont l’habitude de s’épiler entièrement ; quelques-uns même vont jusqu’à se couper les sourcils ; mais tous sans exception se peignent le corps, pour se parer pendant les jours de fête, et ne manquent jamais de faire cette toilette lorsqu’ils veulent recevoir avec cérémonie les étrangers qui les visitent (p.34) ». Le récit est même une bonne référence ethnographique, l’Encyplopédie et la mission napoléonienne en Egypte ayant bien hissé les standards de qualité. A l’image de son iconographie, Debret s’intéressa aux moindres détails, comme ici après quelques exemples linguistiques : « c’est ainsi que le sauvage communique ses pensées par un tissu de rapprochements et d’analogies pour ainsi dire, dont les combinaisons véritablement poétiques, décèlent un esprit observateur et des sensations très délicates, dont le charme lui fait aimer ses habitudes sauvages et craindre la civilisation qui les émousse […] et qu’il ne regarde pas comme un progrès (pp.27-27) »… Une bien belle initiative que cette réédition…

 

L’article sur le site