Unique document attestant du périple et des déboires de ce Flamand parti en 1479 commercer sur les côtes Africaines à la recherche d’or et d’épices. En double version, d’époque et moderne, cette édition est complétée d’une longue étude, d’un index et d’une chronologie.

 

Singulier récit que celui de ce Flamand francophone parti en Afrique au XVe siècle. Parti se procurer de l’or et des épices contre pacotilles et esclaves chassés un peu plus haut sur la côté Africaine, Eustache Delafosse bravait l’interdiction faite aux non Portugais de commercer en ces mers. Le long commentaire par Denis Escudier précise les conditions ‘géopolitiques’ de l’époque entre puissances européennes, et permettent de mieux apprécier les conditions des caravelles en ces latitudes tropicales, plus de dix ans avant la date mythique de 1492. Cette étude rappelle d’autres éléments contemporains, tel cet avis lapidaire et savoureux sur les Portugais, de la part d’un Dieppois semble-t-il, consigné par Ramusio (~1550) : « bien que ce peuple soit le plus petit de tout le globe, il ne lui semble pas assez grand pour satisfaire sa cupidité. Il faut que les Portugais aient bu de la poussière de cœur du roi Alexandre pour montrer une ambition si démesurée. Ils croient tenir dans une seule main ce qu’ils pourraient embrasser avec toutes les deux, et il semble que Dieu ne fit que pour eux les mers et la terre (p.106) »…

 

Le Voiaige est une somme rocambolesque dont la quatrième de couverture a raison de souligner la ressemblance avec les romans picaresques de l’Espagne : l’intéressé, outre être arraisonné par deux bâtiments Portugais au large de l’actuel Nigéria, est dépossédé de sa cargaison dont il doit en outre se défaire au profit de ses geôliers. Ramené à Lisbonne, il est condamné à mort, mais s’échappe pour de nouvelles péripéties avant de regagner, Gand, difficilement, par l’Espagne. D’une certaine manière, il préfigure deux autres classiques du siècle suivant, tous deux centrés cette fois de l’autre côté de l’Atlantique, au Brésil : les tribulations de Hans Staden ( 1547–1556 ) et celles d’Anthony Knivet

(1591).

 

La Vraye Vérité du Voiaige

 

Le récit, d’ailleurs relativement court, est bien plus centré sur son périple sur le continent Européen, là où l’Afrique avait sans doute laissé des souvenirs plus riches et exotiques. Qu’importe, il n’est pas sans charmes, et l’étude citée plus haut comble certaines lacunes tout en précisant les faits et correspondances qui ont pu être corroborées. En effet, ce voiaige « n’est connu que par le manuscrit de Louis de La Fontaine. Nous ne pouvons juger de la fidélité de sa transcription […] il s’est écoulé près de soixante-dix ans entre la fin du voyage et la copie subsistante du texte (p.91) ».

 

Eustache Delafosse semble avoir été bien au fait de ses prédécesseurs, citant pas moins de trois fois le récit d’Alvise Ca’ da Mosto, qui un quart de siècle plus tôt, avait laissé un remarquable témoignage d’une première exploration européenne le long de ces mêmes côtes et profondément à l’intérieur du continent. Il cite aussi, en parlant des Iles Enchantées que le mythe plaçait encore loin à l’ouest des Colonnes d’Hercule, la très récente entreprise de Fernão Dulmo (1487), dont « nous savons qu’il s’agit du Flamand Ferdinand van Olmen, cité par Charles Verlinden comme ‘précurseur de Christophe Colomb’ […] Il propose de monter à ses frais une expédition vers l’ouest, sur la route que préconisait Toscanelli, pensant atteindre ‘une grande île, ou des îles, ou la côte d’un continent où l’on croit que se trouve l’île des Sept Cités’ ; pour la peine il demande la concession du territoire qui serait découvert. Il s’embarque donc muni du royal mandat au début de 1487, et il manque son but. D’après Las Casas, il se serait égaré quelque part à l’ouest de l’Irlande. Néanmoins, son échec même servira de leçon à Colomb en lui montrant la route pou prendre pour les Indes (p.138) »…

 

Le récit de Delafosse est ici reprise en français d’époque qui, hormis quelques termes désuets, se lit bien facilement et fort agréablement. Il est naturellement doublé d’une version modernisée, que l’éditeur a placé en vis-à-vis, en belle page. De la partie concernant l’Afrique, voici deux extraits de cet ‘Occidental’ en terra incognita ou presque, l’un sur sa description des Noirs d’un lieu, l’autre sur les huîtres géantes qu’ils mangèrent agrémentées :

 

« sont ces hommes tout nudz, seulement les parties honteuses couvert. Et sont assez bonnes gens, et se fioient fort de nous, car ils venoient hardiement en noz carvelles. Mais ils sont larrons : car j’avois ung cornet de vache à mettre de la pouldre de graine de paradys que nous mettions sur noz viandes, à la fachon des cornetz a y mettre pouldre de canon, lequel cornet couchoit a terre sur le tillac (p.24) »….

 

« les Mores dudict lieu nous apportoient a vendre des oustres de merveilleuse grandeur, tellement qu’ilz estoient aussy grandz comme le tiers d’une aulne de large, car d’ung oustre nous en fismes 5 ou 6 morseaulx, et estions constrainctz a les bouillir, car a les menger crudz ils nous faisoient abominer ad cause de leur grandeur, et ainssy quïttes [cuites] avec de la graine de paradys estampez en pouldre, nous l