LETTRES D’AFRIQUE Samedi29 mai 2010 «L’indépendance est un leurre» PAR PAR ARNAUD ROBERT, MAPUTO

Le Mozambicain Mia Couto est un géant de la littérature africaine. L’auteur de «Terre somnambule» vient de signer un essai sur la récupération de la figure de Barack Obama par les élites africaines.

Genre: essai Réalisateurs: Mia Couto Titre: Et si Obama était Africain… Studio: Chandeigne, 40 p.

Les Mercedes sont immaculées. Soirée littéraire à Maputo, il y a quelques jours, pour la sortie d’un livre sur l’identité nationale. Les armoires à glace du premier ministre mozambicain musardent sur le trottoir. C’est un pays dont on parle peu, qui célèbre cette année 35 ans d’indépendance. Les stigmates de l’interminable guerre civile sont encore visibles, au carrefour des avenues Vladimir Lénine et Mao Tsé-tung, d’un Etat dirigé par un front de libération communiste, le Frelimo. L’écrivain Mia Couto s’est battu lui aussi, aux côtés du Frelimo, pour le retour de la démocratie dans cet immense pays côtier, ancienne colonie portugaise. Couto a 55 ans, il est Blanc. Son œuvre, l’une des plus bouleversantes de la littérature contemporaine, traque dans une langue maritime les remous d’une histoire nationale. Son roman Terre somnambule, publié en 1992, ou Tombe, tombe au fond de l’eau, de 1998, rejouent avec grâce l’émancipation de ce finistère. Parce qu’il se situe à distance de l’anniversaire des indépendances que l’on célèbre cette année, parce qu’il vient aussi de publier un opuscule sur la récupération de la figure de Barack Obama par les élites africaines, Mia Couto est un interlocuteur précieux. Biologiste de formation, occupé aujourd’hui par la sauvegarde de l’environnement, il croit en une littérature africaine. Pour autant qu’elle ne soit pas cadenassée dans ses origines. Samedi Culturel: On célèbre en 2010 cinquante ans d’indépendance pour dix-sept Etats africains. Est-ce que vous vous reconnaissez dans cette célébration? Mia Couto: L’indépendance est un leurre, dans notre monde globalisé. L’Afrique, en particulier, souffre encore d’une dépendance au niveau mental, philosophique, économique. Nous cultivons un lien par la négative à l’Europe. Beaucoup d’Africains adoptent une posture victimaire vis-à-vis des anciens colons. On se lamente, on pleure. Nous ne sommes capables de voir en l’autre que le responsable de tous nos maux. Même ceux qui choisissent une attitude plus militante envers l’Europe, comme le président du Zimbabwe Robert Mugabe, élaborent un discours de faux courage. Ils restent profondément colonisés du point de vue politique. Nous nous construisons en fonction du Nord, pour lui montrer ce que nous sommes, pour nous affirmer face à lui. La véritable indépendance adviendra quand cet autre n’aura plus d’importance pour nous.

Quel rôle ont joué les intellectuels dans le processus des indépendances et dans  la construction post-coloniale?

Dans le cas du Mozambique, comme dans beaucoup d’autres cas, il y avait peu d’intellectuels capables d’imaginer leur nation. Nous avons connu un type de colonialisme qui n’a pas permis l’ascension d’un groupe représentatif de penseurs. L’administration coloniale, à la fin des années 1950, avait développé une politique d’assimilation. Mais les assimilés noirs qui arrivaient jusqu’à l’école secondaire se comptaient sur les doigts d’une main. J’ai étudié la médecine en 1971. Dans ma faculté, il y avait douze étudiants noirs parmi mille étudiants. Il existait parallèlement une vie intellectuelle blanche, mulâtre, liée à la cause de la libération, cruciale dans la lutte contre la colonie. J’étais un membre du Frelimo. Cela a changé ma vie. A un moment, j’ai décidé de me retirer. Je veux continuer de lutter à ma manière, débarrassé des partis. Je ne suis pas amer, je ne renie pas mon combat. Je m’oppose à l’idée que la politique est sale, que les intellectuels devraient voler au-dessus de ces considérations. Dans certains cas, les écrivains devraient avoir le courage d’offrir leur nom et leur vie à certaines causes. Mais ils doivent aussi savoir se retirer quand les mouvements ont perdu de leur authenticité.

 

En vous engageant avec le mouvement de libération, avez-vous consciemment pris parti contre vos racines portugaises?

 

Non, je ne l’ai pas vécu ainsi. Ce n’était pas une option ni un choix, c’était une condamnation. Même dans les pires moments de la guerre, il ne m’est jamais venu à l’esprit que je devais rentrer «chez moi». J’appartiens à ce lieu, au Mozambique. Je sais que mes origines sont portugaises. La première fois où je suis allé voir une voyante au Mozambique, elle m’a dit que ma douleur était liée au fait que je n’avais pas pris soin d’une femme qui s’était occupée de moi quand j’étais enfant. Je n’y ai pas cru, je n’avais gardé aucun souvenir de cet épisode. Mais j’ai tout de même interrogé mes parents. Ils m’ont raconté que nous étions allés au Portugal pour voir ma grand-mère, quand j’avais 2 ans, et qu’elle s’était prise d’affection pour moi. Je pensais n’avoir gardé aucun lien avec le Portugal. Je ne me rappelais d’aucun de mes grands-parents. Cette voyante m’a dit que je devais aller au cimetière et que je devais m’adresser à elle. Je ne suis pas très religieux. Mais je suis allé dans ce cimetière et j’ai vu toutes ces tombes gravées de mon nom, Couto. J’ai été touché. Le Portugal est la terre où reposent mes morts. Je n’ai aucun mort au Mozambique. Ma diaspora, ce sont mes morts. Cela n’a pas facilité mes questions d’identité.

Vos lecteurs résident plutôt au Nord qu’au Sud…

Sans doute. Mais aujourd’hui, il existe en Angola des éditeurs qui publient des écrivains mozambicains. A Maputo, certains professionnels courageux tentent de donner accès à une littérature lusophone d’Afrique. Mais nous manquons de structures commerciales, de marchés. Mes livres sont lus au Mozambique. On s’arrange pour fabriquer des éditions moins chères. Les nouveautés s’épuisent très vite, faute de copies. De plus, les livres ne sont disponibles que dans les capitales. C’est un problème po