«Des sonneries répétées. La narrateur tiré de son sommeil, encore à moitié endormi, observe le visiteur à travers le judas, sans le reconnaître. Il n’ouvrira pas. Dès le début du roman, tout ou presque est en place. D’abord, la modernité, la technique qui filtre les perceptions du personnage. Tous les rapports à l’extérieur sont médiatisés, refroidis, désincarnés, le téléphone, l’écran-télé, le walkman contaminent le corps: l’œil “fait le point”. En deuxième lieu, l’état de somnolence, qui se traduit à la fois par la passivité, une certaine insensibilité, et surtout un récit halluciné: “Il me semble que… comme si… on dirait…”. L’observation enfin, où chacun épie l’autre. Même l’œil de la porte fonctionne dans les deux sens. Un regard pèse constamment sur la conscience, le regard inquisiteur de la société panoptique. Nous sommes en plein délire paranoïaque, les indices en saturent le livre: les passages au futur, la persécution imaginaire, ses concrétisations désastreuses et provoquées… Embrouille? Non, cauchemar. Dans une lecture au ras du texte, le malaise vous colle à la peau pendant les 150 pages que dure l’histoire. Le présent de narration vous plaque au sol, vous passe la camisole, et vous suivez, contraint, spectateur passif comme lui, le narrateur dans ses pérégrinations. Chez sa sœur, son ex-femme, sa mère, un vieux fermier, une bande de truands, sa sœur de nouveau… Il n’arrête pas de fuir, de se déplacer, en bus, à pied, en taxi, croisant au passage des situations assez édifiantes sur la société brésilienne. Par exemple celle-ci: un meurtre a été commis. Dans la rue, la foule s’agglutine, la police protège le suspect, un jeune noir pour mieux s’en occuper plus tard, la télévision attend de la mère du garçon des larmes, des cris, du pathétique quoi, et elle se prête volontiers à la comédie pour sauver son fils ou par exhibitionnisme?, on en sait trop. Son public, la critique, on attendait Chico au tournant. Son précédent roman paru en 1974, Fazendo modelo, n’avait convaincu personne. Avec Estorvo (Embrouille), allait-on enfin le reconnaître comme romancier? S’il fallait vraiment répondre, on pourrait dire que le prix Jabuti décerné en septembre [1992] est déjà en soi une belle consécration, mais la question paraît vaine, confondre insidieusement les genres. Reconnaissons en toute simplicité au chanteur une maîtrise de la prose, un savoir-faire indiscutable. L’univers décrit est cohérent, le climat est tenu jusqu’à la dernière page. Il n’est pas jusqu’aux lourdeurs, aux répétitions, à la profusion des constructions indirectes, qui ne soient calculées pour ralentir, empeser, engoncer le récit, le maintenir lui aussi à distance. Un peu comme le passé composé de L’étranger. Ça fait partie de l’atmosphère. Pas jusqu’au détail maniaque – sur le court de tennis, chap.9: ”… la chaise verte… un banc aux lattes vertes… sol de caoutchouc vert… grillages verts… balles jaunes…” – qui ne concoure à accentuer le caractère maladif, obsessionnel du texte. Accentuer jusqu’à la caricature, au grotesque, au risible. Et l’on se prend à y voir de l’humour. Alors embrouille? Oui peut-être.» M. Riaudel.