Jacques Lévêque de Pontharouart soulève une question qui, si elle se révèlait pertinente, ne manquerait pas d’ébranler l’historiographie des relations entre la France et le Brésil, puisqu’il ne conteste pas moins que la réalité du voyage de Paulmier de Gonneville au Brésil, en 1503-1504, et donc sa relation datée de 1505. Or ce récit, le plus ancien concernant les échanges entre les Amérindiens et les Français, fonctionne comme un texte fondateur. Même s’il n’a pas le souffle de la lettre de Pêro Vaz de Caminha, il a pour lui d’être l’origine d’une histoire. Devant une argumentation parfois péremptoire et mal structurée, affirmant avant la preuve, raisonnant ici ou là de façon tautologique, devant l’inexpérience «scientifique» de l’auteur et ses procédés d’autodidacte, il y a encore lieu d’être prudent. Mais il faut bien avouer que les éléments apportés sont plus que troublants. Car si l’auteur n’est pas du sérail universitaire, il connaît en revanche bien le domaine maritime et semble avoir effectué des recherches tenaces et précises. Sa thèse se fonde d’une part sur le fait qu’il n’existe aucune pièce au dossier antérieure à 1659 et, d’autre part, sur une série d’anachronismes dans la version la plus complète du rapport de Gonneville après son prétendu naufrage au large de Jersey, consécutif à une attaque de pirates. Cette déclaration censée avoir été faite devant l’Amirauté de Rouen ne respecterait pas les usages de l’époque, ni quant à la forme, ni quant au vocabulaire ; elle n’aurait pas le caractère obligatoire que suggère son libellé, obéissant à un règlement qui lui serait en fait largement postérieur ; enfin, elle serait présentée devant une instance alors incompétente, sinon inexistante comme elle apparaît ici. D’où l’idée qu’il s’agirait d’un faux forgé de toutes pièces en 1659, par celui qui a joint ce texte à un épais dossier plaidant pour une campagne d’évangélisation des Terres australes, l’abbé Paulmier de Courtonne, chanoine de Lisieux, projet qu’il était d’ailleurs d’autant plus destiné à diriger qu’il se proclamait du même coup le descendant d’un fils de cacique local, Essoméricq. Car, et c’est l’autre élément fort de la démonstration, l’époque est convaincue qu’il existe de vastes terres habitées au sud du globe. C’est le XIXe siècle qui, au moment où cette affaire sera partiellement déterrée, lira Brésil là où il s’agirait d’une hypothétique «australie». L’interpréter autrement aurait en effet immédiatement conduit à conclure au faux, puisqu’on savait alors ce qu’on ignorait au XVIIee : qu’il n’y avait à cet endroit que des manchots s’ébrouant sur les glaces. L’instruction à charge, le ton enflammé de Jacques Lévêque de Pontharouart, volontiers provocateur et polémique, s’ils ne le servent pas, ne suffisent pas à le discréditer. Il faudrait plutôt que s’ouvre (au plus vite) une contre-enquête visant à infirmer ou vérifier point par point les affirmations contenues dans Paulmier de Gonneville. Son voyage imaginaire. Seule cette confrontation permettra de sortir du doute qu’il a efficacement contribué à instaurer. Voilà par exemple un beau sujet de maîtrise d’histoire…