Les calligrammes du couturier
Paul Poiret ne fut pas seulement le plus grand couturier de son époque, rigoriste excentrique et touche-à-tout surdoué. Il avait aussi des vacances, une famille et des amis. Il lui arrivait alors de tracer sur le papier des calligrammes à déchiffer. Le créateur inventait alors des alphabets furieusement "dans le coup" pour le seul plaisir de piéger ses proches avec ses phrases aux allitérations méthodiques et aux assonances absurdes qu’il faut lire, relire et répéter pour espérer en percer le sens – un sens le plus souvent farfelu. En 1927, il demanda au dessinateur Pierre Fau d’en illustrer quelques dizaines, réunis en un luxueux petit volume tiré à 300 exemplaires pour ses proches – sommités du Tout-Paris comme enfants de la famille. C’est ce Popolôrepô qui est maintenant réédité et révèle l’actualité phénonménale du trait et de l’esprit de Paul Poiret. Certes, les références au maréchal Pétain ou à Mussolini trahissent l’époque, mais ses énigmes graphiques et phonétiques restent délicieusement prenantes pour un lecteur d’aujourd’hui. Si on n’a aucun mal avec "Si 1 veuf gob 9 euf 9 veuf gob 9 oi 9 euf", certaines sont d’une féroce opacité.
Pierre Fau illustre chacun des calligarmmes d’un trait qu’on pourrait dire à mi-chemin entre Otto Dix et Dubout. Sa fidélité méticuleuse au "texte" éclaire chaque devinette de manière parfois très subtile. Il en résulte un petit livre d’un raffinement et d’une invention uniques, une réussite esthétique qui n’oublie jamais ses intentions ludiques.
Bertrand Dicale