Les récits de voyage de missionnaires catholiques au Kongo et en Guyane. Nouveaux royaumes
Ces deux récits de voyage ont en commun de se dérouler à la même époque, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Et d’avoir pour héros des missionnaires catholiques, deux capucins et un jésuite, envoyés les uns en Afrique, l’autre en Amérique, évangéliser les «sauvages». Tous échoueront dans leur tâche. L’un y laissera la vie et les autres reviendront en Europe grelottant de fièvre. Ils seront confrontés à des mondes qu’ils ne comprennent guère. Et leur entreprise de christianisation fera long feu. Le grand intérêt de ces textes est d’abord la date où ils ont été rédigés. Quand ces prêtres débarquent, les pays où ils abordent ne sont pas encore totalement soumis au monde occidental. Si les épidémies propagées par les nouveaux arrivants font des ravages, si la traite négrière est en place, en Afrique comme en Guyane, les sociétés indigènes ne se sont pas encore désintégrées. Par ailleurs, la conviction religieuse des rédacteurs ne les empêche pas d’observer leurs futures ouailles avec une certaine empathie. Mais ce sont surtout le quotidien de ces hommes d’Eglise, isolés, livrés à eux-mêmes, et le regard qu’ils portent sur leur propre condition, qui est tout à fait passionnant. Les capucins italiens Michelangelo de Guattini et Dionigi Carli embarquent à Gênes en 1667 pour se rendre au Kongo. Ce royaume situé aux confins de l’embouchure du fleuve Congo a été hâtivement évangélisé à la fin du XVe siècle. Un siècle et demi plus tard, le pays est ravagé par une guerre civile, attisée par les mêmes Portugais installés à Luanda, au sud du royaume. C’est là que les deux capucins débarquent, après un long et pénible périple qui passe par le Brésil. Michelangelo de Guattini meurt bientôt et laisse Dionigi Carli s’enfoncer à l’intérieur du pays pour baptiser à tour de bras. Grâce aux lettres du premier et à la relation du second, nous avons des informations précieuses sur l’économie du Kongo où les femmes seules semblent travailler aux champs, sur l’organisation de cette société féodale, mais aussi sur les moyens de transport, sur la nourriture et sur la faune, sujet de toutes les inquiétudes de Dionigi Carli, effrayé par l’abondance des lions et des serpents.
Malentendu
Malade à son tour, Dionigi Carli est rapatrié en Europe. Mais son voyage de retour est interminable. Là encore il lui faut repasser par le Brésil. Cette fois-ci à bord d’un bateau chargé de 630 esclaves, entassés dans ses cales. «Trente-trois Maures moururent durant ce voyage, ce qui fut compté comme un miracle, attendu qu’à l’ordinaire il en meurt la moitié» , note le capucin. Nous avons là un des rares comptes-rendus détaillés de la vie à bord d’un vaisseau qui se livre à la traite. Dionigi Carli finit par atterrir à Lisbonne : «Quant aux Portugais, ils furent émerveillés de me voir rentrer avec pour tout bagage mon seul crucifix et ma maladie, devenue incurable.»
La terre de mission du Père Jean de la Mousse, était la Guyane. Il y resta de 1684 à 1691. Sans grand succès. Son nom sera plus tard cité en exemple par ses successeurs : «Pendant l’espace de douze ans, (il) avait fait des missions parmi eux (les indiens) sans avoir fait un seul chrétien.» Pourtant le jésuite ne ménage pas sa peine pour convertir les Indiens et les esclaves africains déportés dans cette «France équinoxiale». La population amérindienne est régulièrement décimée par les épidémies. Pour Jean de la Mousse, c’est l’occasion de donner aux mourants la vie éternelle. «La plupart des mères même nous pressent de baptiser leurs enfants, indique-t-il, croyant que le baptême les fera vivre plus longtemps.» Il y a donc un total malentendu, entre les habitants de la Guyane et le missionnaire dont le principal rival est le chaman, qui a parfois embrassé la foi chrétienne pour augmenter ses pouvoirs. Avec une certaine lucidité sur les résultats de son sacerdoce, le jésuite arpente les rivages de ce Nouveau Monde, quand la fièvre lui laisse quelque répit. Jean de la Mousse, mélancolique et désabusé, note après avoir assisté à une fête qui «dura depuis les cinq heures du soir jusques à 8 heures du matin, pendant quoi je fis diverses réflexions, entre autre que ces pauvres gens qui n’ont aucune connaissances qu’ont les chrétiens sont excusables dans leurs divertissements, où il ne se passe rien de si criminel que dans ceux de nos chrétiens qui ont des lumières et des connaissances que n’ont pas nos Indiens.»
Emmanuel de Roux