Les éditions Chandeigne tirent de l’oubli le récit du Voyage de Pyrard de Laval qui n’avait jamais été réédité depuis 1679. Cité par Buffon et l’abbé Raynal, il a été traduit en portugais, puis en anglais à la fin du XIXe siècle. La version intégrale, aujourd’hui publiée, correspond à l’édition de 1619; elle est enrichie de nombreuses illustrations d’époque, d’un remarquable appareil de notes et d’un glossaire des termes archaïques, maritimes ou étrangers. Ce récit de dix années de bourlingue entre Saint-Malo et Goa a toute son importance, car il est le premier témoignage d’un Français sur une expédition maritime. D’ailleurs, l’auteur explique lui-même ce retard des Français par "l’abondance de toutes sortes de bien que la France produit et tant de grâce que la bonté divine a si libéralement versées sur sa terre peuvent avoir été cause que les Français ont longtemps négligé la marine […] la terre leur fournissant fidèlement ses biens en suffisance, ils n’avaient garde d’en rechercher d’autres parmi les dangers de l’infidélité de la mer…" Il faut se replacer dans le contexte de l’époque. L’aventure maritime est une affaire d’État et les Portugais comme les Espagnols avides de conquêtes, ne sont guère prolixes, préférant, pour l’heure, garder leurs itinéraires secrets. Les Italiens parleront les premiers, Marco Polo en étant le meilleur exemple. Les exploits des commerçants de la République de Gênes et le rôle des négociants vénitiens dans le commerce de l’Orient n’était pas inconnu des Français. "A partir de 1500, explique la préfacière Genevière Bouchon, leur avidité fut attisée par les naves d’épices venues de Lisbonne, qui débarquaient chaque année au comptoir portugais d’Anvers les richesses de l’Inde, à tel point qu’il leur parut inutile de s’y rendre. Pourquoi s’aventurer si loin alors qu’il suffisait d ‘aller a la rencontre des escadres portugaises à leur retour d’Orient et de les piller avant qu’elles n’aient atteint le Tage, à l’instar du corsaire Mon dragon dont le seul nom terrorisait les équipages?" Ce sont les récits des captifs et l’aspect des cartes nautiques récupérées lors des actes de piraterie qui attirent les Français dans l’aventure maritime: les frères Parmentier vont tracer la route en 1529. Pour la gloire. Pyrard de Laval va marcher sur leurs traces et offrir la relation de son aventure indienne à Marie de Médicis: "Votre Majesté, désireuse d’en savoir et d’en connaître toujours davantage, pourrait (y) trouver plaisir et contentement… telle connaissance et curiosité étant vraiment royale." Qui est Pyrard de Laval? Bien que l’on ne soit guère fixé sur son origine et que Belges et Français se disputent sa naissance, lui a toujours déclaré fier d’être Français et de servir son roi. Ainsi le 8 mai 1601 le Croissant et le Corbin quittent Saint-Malo pour les Indes. Ce récit révèle combien les Français sont ignorants des embûches du voyage et de la roublardise des marins flamands et portugais. Pendant que le Croissant poursuit sa route vers Sumatra, premier coup dur: le Corbin fait naufrage, le 2 juillet 1602, sur un banc de corail au large des Maldives. Pyrard raconte l’accueil peu amène des insulaires et la faim qui taraude les rescapés tandis que les hommes du roi de l’île dépouillent le navire jusqu’au plomb et aux clous. De tous ses compagnons d’infortune, il est nettement le plus intelligent, n’hésitant pas à apprendre la langue des insulaires et à s’attirer les faveurs du roi. Pourtant chaque fois qu’il voit poindre la fin du cauchemar un élément nouveau retarde son départ. Par exemple, l’évasion de marins flamands qui déclenche l’ire royale. Avec un luxe de détails, il relate les châtiments infligés aux déserteurs, la perte de son fidèle ami originaire de Vitré et sa douloureuse maladie dont il réchappe grâce aux soins prodigués par un homme de l’île de Baudos. Ainsi, pendant cinq ans, le Français va vivre dans ces îles: "Il ne manquait de rien que l’exercice de la religion chrétienne, dont il me fâchait fort d’être privé, comme aussi de perdre l’espérance de jamais revenir en France." Avec un multiple regard d’ethnologue, d’aventurier, de géographe et de marin, Pyrard de Laval brosse un portrait très précis des peuples qu’il a côtoyés, décrivant leurs mœurs, leurs coutumes mais aussi la faune et la flore des terres parcourues. Un beau jour, il parvient à s’échapper à la faveur de l’attaque d’une flotte bengalaise. De Calicut à une prison de Cochin, victime de l’hostilité des Portugais, Pyrard de Laval, blessé et malade arrive à Goa pour y être jugé. Le récit suit le cours de ses avatars et l’hôpital de Goa y occupe une place de choix. "C’est le plus beau, que je crois, qu’il y ait au monde, soit pour la beauté du bâtiment et des appartenances, le tout fort proprement accommodé…" Cette institution est dirigée par les jésuites ; mais l’admiration de Pyrard va à l’équipe médicale: "Les médecins, apothicaires et chirurgiens visitent deux fois le jour les malades, à huit heures du matin et à quatre du soir, et quand ils entrent, on sonne une cloche pour avertir un chacun, comme aussi l’on fait à l’heure du repas. Les maîtres chirurgiens et saigneurs sont assistés de plusieurs autres pour appliquer les onguents et médicaments. Quand ils visitent ces malades, il y a des serviteurs de l’hôpital qui portent de grands brasiers de feu, ou ils jettent force encens et autres odeurs aromatiques…" Petit à petit, dans le sillage du Français le lecteur découvre la vie quotidienne de cette riche capitale de l’Inde portugaise: son architecture, son gouvernement, ses institutions religieuses. Mieux, Pyrard est enrôlé comme soldat lors d’une expédition à Ceylan, au Bengale, en Insulinde puis aux Moluques, ce qui lui permet de décrire les trafics commerciaux vers le Brésil, l’A