C’est un bijou que nous offrent les éditions Chandeigne, un recueil de nouvelles et un film inédit rendant hommage à une œuvre riche et relativement méconnue en France: la littérature et le cinéma pour la jeunesse développés par trois générations de la dynastie Ray presque un siècle durant.
En 1913, l’imprimeur et écrivain Upendrakishore Roychowdhury, grand-père de Satyajit Ray, crée la revue pour enfants Sandesh, devenue extrêmement populaire au Bengale. À sa mort, son fils, le conteur et illustrateur Sukumar Ray reprend le titre, le développe et le transforme en une véritable référence de la littérature indienne, réputée entre autres pour la richesse de ses illustrations. Satyajit Ray, après ses premiers succès cinématographiques, ressuscite la revue où il publie à son tour de nombreuses nouvelles, dont certairies seront adaptées au cinéma.
L’ouvrage édité par Chandeigne propose, en 208 pages, trois nouvelles représentatives de ces trois personnalités, magnifiquement illustrées par Lydia Gaudin Chakrabarty ; Professeur Shonku et sa prodigieuse créature de Satyajit Ray, un récit de science fiction écologiste sur un savant fou qui invente une machine capable de reconstituer en miniature la naissance de la vie sur terre; Ho-jo-bo-ro-lo de Sukumar Ray, une féerie poétique et surréaliste mettant en scène des animaux doués de parole, nouvelle qui évoque l’univers de Lewis Caroil; Les Aventures de Goopy le chanteur et Bagha le batteur d’Upendrakishore Roychowdhury, un conte merveilleux peuplé de fantômes, de magiciens, de rois et de tigres, se déroulant tantôt dans le désert et la jungle, tantôt dans des palais.
C’est cette dernière nouvelle que Satyajit Ray décide d’adapter à l’écran en 1968, un choix qui, intervenu en plein période moderne de l’auteur, peut paraître surprenant (un an avant Des jours et nuits dans la forêt, son film très «nouvelle vague»). Il s’explique néanmoins par la passion de Ray pour le monde de l’enfance, par son attachement au patrimoine familial et à l’univers de Sandesh, ainsi que par son intérêt intact pouf la culture indienne populaire. Le film conte l’histoire de deux musiciens chassés de leur ville par un roi qui n’aime pas leur musique. Dans la jungle, ils voient apparaître des fantômes qui les dotent d’un pouvoir magique et d’un véritable talent musical. Ils sont acceuillis alors par le roi de Shundi et seront ses musiciens de cour. Alors que l’armée de Halla, le royaume voisin, menace Shundi, nos deux héros parviendront à empêcher la catastrophe en faisant tomber sur les soldats une pluie de gâteeaus magiques aux vertus pacifiques.
Cette comédie musicale et burlesque, dont Satyajit ray est l’auteur complet (scénario, mise en scène, musique, décor), est une célébration du pourvoir enchanteur de la musique et de la danse – du cinéma. La séquence hallucinante de la danse des fantômes fait largement usage de faux raccords, arrêts sur images, focales déformantes, images en négatif, tirant vers l’abstraction une chorégraphie métamorphosant l’histoire de l’inde, depuis la formation des castes jusqu’à la domination anglaise et l’indépendance. S’inscrivant ainsi dans l’histoire politique et culturelle de son pays, ce film a également réconcilié le cinéaste avec le public populaire du Bengale, devenant l’un de ses plus garnds succés commerciaux. En 1980, Satyajit Ray a tourné la suite des aventures de Goopy et Bagha, Le Royaume des diamants, mieux connu du public occidental.
Ariel Schweitzer